Il est des films tellement hermétiques à tout public que leur aspect avant-gardiste ne se reflète finalement que dans les yeux de leur propre créateur. D'un film trop personnel à une création qui divisera son public, il n'y a après tout qu'un mince écart, et en ce qui concerne Francis Ford Coppola et son projet de toujours, Megalopolis, le pas s'accompagne d'une plongée vertigineuse qui semble sans fin. Durant 2h15, le spectateur médusé, consterné, perplexe, voire gêné, regardera la descente d'un cinéaste de génie qui s'observe filmer une prétendue vision originale d'un affrontement architectural de haute volée. Que se cache t'il derrière un tel projet pharaonique, vieux de 40 ans et s'étant vu refusé par tous les studios, contraignant Coppola à le financer lui-même ?
Le pitch de Megalopolis se voulait pourtant alléchant : deux visions architecturales s'affrontant autour de la reconstruction d'un New York romain en pleine décadence, où une élite avide de pouvoir se gave tandis que les pauvres sont pauvres. Malgré un postulat politique vu et revu, Megalopolis avait toutes les promesses d'une fable épique et baroque de haute volée...
Le choc entre le spectateur et le film se fait d'emblée, tel Adam Driver se heurtant au mur du temps, tandis qu'il essaie de réaliser la portée de son mystérieux pouvoir. De ses origines étranges, il ne sera rien évoqué, aussi restera-on dans l'interprétation symbolique et dans les élucubrations digne d'un conteur de fable âgé de 85 ans (bonsoir, Francis).
La plongée continue, tandis que l'on observe un long enchaînement de séquences psychédéliques sans queue ni tête se dérouler, mettant à mal tout attachement possible envers un casting pourtant copieux. De Shia La Bœuf à Dustin Hoffman et d'Adam Driver à Aubrey Plaza, il y avait à faire avec une telle brochette d'acteurs et d'actrices, dont nous ne suçoterons malheureusement ici que les cartilages. Chacun confiné dans leur bulle d'acting surréaliste, il est complexe de dire si leurs performances frôlent le génie incompris ou le cabotinage sans fin.
En bon achitecte démiurge qu'il est, César Calatina (Adam Driver) incarne ainsi cette vision haussmanienne de la civilisation, prête à raser la moitié d'une ville afin de laisser place à un monde flambant neuf et ce, au détriment des classes populaires. Derrière sa vision architecturale innovante, aidé par un mystérieux matériau nommé le Megalon, se cache la figure d'un idéaliste désireux d'aller de l'avant, quitte à ne pas savoir ce que l'avenir leur réserve. Tout cela, à des fins humanistes, bien entendu.
Mais la critique sociale, si elle est brandi à quelques maigres reprises, ne sera finalement pas le propos central de Megalopolis, et ce sera d'ailleurs une façon de mettre en lumière le grand soucis de ce nouveau Coppola : le propos, où se terre t'il donc ? Dans les artères urbaines dégoulinantes de CGI de cette New York fantasmagorique ? Ou dans le regard du casting, en roue libre constante durant des séquences fiévreusement kitsch rappelant les heures sombres du cinéma de série B ?
Megalopolis, c'est donc la pierre finale d'un édifice cinématographique qui démarrait pourtant avec une grandiosité exceptionnelle, mais qui se sera vautré en posant sa dernière pierre.