Il est bien compliqué d’évoquer la dernière œuvre de Coppola en faisant fi de son processus de création, tant on parle autant de ce dernier que du film en lui-même dans les médias. Un projet aussi pharaonique qu’il est suicidaire, un pied de nez à une industrie frileuse quand il s’agit d’exposer une vision unique qui a forcé Francis à monter une affaire de vignobles pour pouvoir le financer. Un pari dont l’audace, et la confiance qu’il a bien voulu accorder aux audiences d’un monde post-MCU, gavé au cynisme mercantile éhonté, n’a a priori pas payer, si ce n’est pour les amateurs de curiosité, et pour l’expressivité d’un art qui oublie souvent ses fondements. Une approche que les campagnes marketing (désastreuses) ont tenté de placer en candidat au martyr, quitte à commencer à faire douter les plus bienveillants des spectateurs. Un suicide financier sous licence poétique. Un ultime soubresaut.


Il semblerait que la genèse même du projet, douloureuse à souhait, se soit infiltrée dans la teneur du récit. Une œuvre faite de contradictions, parlant d’un artiste que l’on cherche à brider par crainte de quelque chose de différent. Un néo-péplum parfois trop littéral qui ne cache à aucun moment les aspirations de son auteur, dont les travers viennent trop souvent noircir le tableau. Se côtoient des scènes d’une beauté imparable et d’autres boursouflées, poseuse et laide. Les citations, verbales ou picturales, s’enchaînent dans un tourbillon qui réjouit au moins autant qu’il exaspère. Le beau et le laid se tutoient, mais toujours avec une forme d’intégrité rare, celle d’un peintre qui se fout bien de ce que l’on pensera de sa toile, qui n’a plus rien à prouver depuis un bail.


Ces paradoxes stylistiques font finalement écho à l’histoire que veut nous narrer Coppola, qui joue sur deux lectures, tout autant que le mythe et le réel s’entrecroisent, que passé et avenir s’entrechoquent.


La première, celle plus perceptible au premier regard, est celle d’un optimisme qui doit prévaloir. L’ambition de Caesar est utopique, mais ce n’est pas à cause de l’échec de tels projets par le passé qu’il faut renoncer à faire évoluer notre société, à gommer ses limitations matérielles (et donc sociales), et s’enfermer dans un traditionalisme désespéré. Là l’opposition entre Caesar et Cicero. Deux visions d’un monde qui se porterait mieux si conciliation il y avait. Une conclusion narrative qui paraîtrait bien naïve si les images ne nous racontaient pas le revers de cette médaille.


Car Caesar, et tous les personnages que l’on va suivre, ne représentent jamais la plèbe. Des nantis, des bourgeois mégalos qui se chamaillent au-dessus d’une ville fragile, se perchant sur des structures moralisatrices branlantes et plus fragiles encore. Une lutte d’opinion dans des chambres dorées qui oublie de mettre la réalité du citoyen au centré du débat. La foule est malléable, servant les puériles incartades de Clodio, exacerbant l’opportunisme crasse de Wow Platinum, ou scandant le nom qu’on lui susurre à l’oreille alors même qu’elle est aveugle, massée derrières des murs qui lui occulte le fruit de ces vaines querelles. D’où l’affaissement des institutions dans la scène des statues, elles qui ont oublié leur vocation populaire. D’où les météores qui annihilent la rue dans un spectacle d’ombres portées dont seuls profitent les hauts placés. D’où le Colisée du Madison Square Garden qui condamne aussi vite qu’il innocente Caesar, tant que les jeux sont là pour faire diversion.


Les beaux discours montrent leur caractère vain, les belles images trahissent le nombrilisme décadent. L'utopie est donc, une fois de plus, condamnée à l'échec. Tout comme Megalopolis qui oublierait qu'un film a besoin d'une audience, et que toute l'audace du monde ne vaut rien si elle n'est pas canalisée d'une façon ou d'une autre pour la rendre digeste. L'artiste perd le contrôle d'une oeuvre qui veut tout traiter, et in fine, il s’emmêle tant les pinceaux que le rendu tend vers la gribouille. La main de Coppola n’est pas toujours heureuse, il pousse souvent le curseur un poil trop loin, et je suis sorti de ma séance circonspect.


Mais le temps passé depuis m’a fait apprécier davantage une œuvre foisonnante. Pour chaque écueil scénaristique, une trouvaille de mise en scène. Pour chaque lourdeur, un instant suspendu. Pour chaque tâche esthétique, une fleur qui s'imprime sur la rétine. Un esprit livré sur pellicule dans toute sa confusion, sans garde-fou, pour le meilleur et pour le pire.


A la fois César et rien.


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le 14 oct. 2024

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Frakkazak

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