« Par où commencer ? ». Au sortir de la salle, la question est sur toutes les lèvres vu le niveau de "réactitude" que Francis vient de nous offrir. Côté femmes tout d'abord. Côté … quoi ? Nous sommes en 2024, Mee too est arrivé des deux côtés de l'Atlantique, le test de Bechdel passe désormais - parfois - la barre d’Hollywood mais mais MAIS, personne ne semble avoir relu le scénario et le dialogues (pas même Sofia ?!). Reprenons l’intrigue. Coppola déroule son histoire dans un ersatz de New York passo-futuriste appelé New Rome. Le maire Caligula est fort fâché contre un architecte star, César, qui a pour projet de bafouer le PLU pour bâtir une ville nouvelle, promesse d'égalité et bonheur. Son secret ? Le mégalon, un matériau doté de super pouvoirs dont celui d'arrêter le temps.

A l’écran, ces deux mondes s’affrontent sous les traits de Giancarlo Esposito et d’Adam Driver, accompagnés d’un gang de monuments hollywoodiens : Dustin Offman et Jason Schwartzman en seconds couteaux, Jon Voight en banquier richissime, Shia LeBoeuf en héritier cinglé, ou encore Laurence Fishburne en chauffeur dévoué et voix off du film. Face à toute cette testostérone au pouvoir, les femmes, elles, ramassent les miettes (littéralement). Au programme, nous avons l’amoureuse du Jean Nouvel local, Nathalie Emmanuel alias Julia Cicero qui inspire parfois son Jules tout en lui servant d’attachée presse ; une journaliste financière dont la vulgarité rivalise avec son machiavélisme, Aubrey Plaza alias Wow Platinum, qui tente de piquer les sous de son vioc de mari milliardaire pour les filer à son amant (Adam), tout en couchant avec son beau-fils (New Rome on a dit) ; une chanteuse blondinette faussement vierge qui, elle aussi, copule avec Adam ; des épouses soixantenaires traitées de folles ; une ex morte, également labellisée borderline, ce qui n’empêche pas "Jean Nouvel" d’en pincer toujours pour elle ; des nymphettes à poil qui se lèchent la coke entre leurs seins ornés de cuir ; et le tour est fait.

La Palme d’or de l’ancien monde est atteint au moment où Julia, en vadrouille mondaine, annonce à ses pairs : “Il faut que je rentre préparer le dîner” (dans son penthouse de 600m2). Soyons toutefois factuels et soulignons la symbolique du plan final avec un nouveau-né de sexe féminin. La femme serait-elle l'avenir de l'humanité ? Well, l'avenir is not really sure considering que sa mère a arrêté le temps (autre pouvoir de l’incroyable mégalon), cela sur ordre du chef de famille et que le petit ange est désormais seul être vivant des alentours. On apprécie également, un peu plus tôt dans le film, une scène où Julia et César bavardent du choix des prénoms de leur futur progéniture. « Francis » remporte les suffrages du XY, un choix tout en humilité. Si cette désolation d’ovaires ne suffisait pas, en miroir des gueules masculines les plus charismatiques des US, papi Coppo a casté des figures féminines aussi lisses qu’insipides : des passe-partout. Compte tenu de la profondeur des personnages, l'idée n'était pas de viser l'Oscar mais avec Driver, Offmann ou Voight sur pellicule, leurs consoeurs auraient dû rivaliser. Esthétiquement, on navigue malheureusement chez les Desperate housewives. Pour le reste, tout transpire le cliché américain. Peut-être à raison ? En plissant les paupières, on pourrait y voir une lecture au troisième degré des affres de la société US, notamment via le trigger warning initial “ceci est une fable”. Dans Mégalopolis les hommes mènent le monde, l’argent pousse au crime, tout est paillette, les foules se repaissent de pain, de filles en strings et de jeux. Est-ce si faux ? Les âmes sensibles à la nuance se froissent mais sur le fond, Coppola nous raconte t-il des salades ?

Francis avait également envie de se payer en un film l’histoire du septième art et de celle (récente) des Etats-Unis. Parmi la pluie de références, on a vu Méliès avec la main dans les nuages carton-pâte ; des plans symétriques et zooms agressifs à la Wes Anderson appuyés par le rôle de son acteur fétiche Schwartzman ; Matrix avec la scène du verre brisé et la présence de Morpheus / Fishburne in person ; un zeste de Scorsese entre la silhouette de Dustin Hoffmann et la mise en scène de la conférence de presse ambiance Gangs of New York ; du Stanley Kubrick Odyssée de l’espace ; du Ben Hur en veux-tu en voila ; l’iconique photo Lunch Atop a Skyscraper représentant la frénésie de construction et les affres de la grande dépression ; Britney Spears sous les traits de Vesta Sweetwatter (Grace VanderWaal) en vierge censée sauver l’Amérique grâce à son obsession hypocrite pour la chasteté malgré l’esthétique porno omniprésente ; la menace des deep fakes ; l’indispensable référence à l’URSS ; Donald trump et le populisme campé par un de ses rares supporters à Hollywood, Jon Voight, etcetera. On adhèrera ... ou pas.

Une note positive tout de même, nos yeux ont saigné d’admiration devant la maîtrise des compositions. Combien de storyboards par scène pour capter les lignes de force aux deux tiers du cadre, la lumière tombant pile sur l’angle du bras de Driver dans son fauteuil, tel une peinture de John Hopper ? Depuis le siège du MK2 Bastille, notre sentiment était d’assister à un défilé de tableaux tout droit sortis d’un musée. Avec une différence toutefois. L’art est censé susciter l’émotion, or à part un froid éblouissement technique, nous n’avons strictement rien ressenti face aux 02h15 d’action. Exception faite pour une scène de signature d’autographe qui tourne vinaigre, où notre tension artérielle a légèrement grimpé. Cette débauche de savoir-faire nous a d’ailleurs détourné d’une grossière erreur : le faux-bébé. Rien vu ! Quand nos deux voisines n’en revenaient pas des pupilles. Dans la scène finale, Julia tient un mannequin dans ses bras avant de passer l’enfant ... soudain bien en chair, à son conjoint. Serait-ce intentionnel ? Un autre hommage artistique ? Et si Coppola nous vendait une métaphore de l’homme machine ? L’enfant n'était que mégalon ! Jean Nouvel César n’a t-il pas été lui-même rafistolé in extremis sur un billard grâce à sa fantastique trouvaille ?

A force d'en rêver, on finit d'ailleurs par avoir, nous aussi, envie d'aller dans sa Mégalopolis. Sera-t-elle un peu écolo ? (L’espoir est toutefois limité puisque là où le féminisme meurt, il y a généralement peu de place pour l’environnement). Aura t-on droit à un nouveau Cinquième élément ? Non et non. 120 millions de dollars de budget (soit 17,6 Anatomie d’une chute ou 5,2 Emilia Perez) et pas grand chose à se mettre sous la dent utopique. Francis nous gratifie d’une cité toute en rondeur couleur étain, rappelant vaguement des pétales de fleurs, avec attention un truc révolutionnaire :

DES TAPIS ROULANTS

FFC avait peut-être pris une correspondance à Châtelet entre les lignes 11 et 4 dans le long couloir de 50 mètres lors de sa dernière visite parisienne. Chez Coppola, ce commute quotidien touche aux confins de l'imagination : « Jump on it, in 5 minutes you will be in a garden » dit César. Où l’on s’attend à une téléportation, à une construction 3D novatrice. Négatif. Le personnage se contente d’avancer lentement dans un décor ressemblant aux nouvelles Halles, un peu plus propre et sans pickpockets. On n’a pas non plus saisi en quoi le mégalon allait aider la plèbe à s’acheter du savon et payer ses factures d’hôpital. Disons que de façon générale Coppola ne charge pas la mule de détails et explications. Deux trois mots scientifiques agrémentent les dialogues pour la forme y basta. Sans oublier que des restes de satellites auraient tout de même dû réduire en poussière New Rome et puis pouff on est passé à autre chose. C’est une fable on vous répète.

Résumons. Ce film n’est donc pas une œuvre sur ce qui fait tomber une civilisation mais sur ce qui sauvera la civilisation. Francis nous donne l’addition du salut : un architecte urbaniste formé à Paris ; des femmes sexys en second plan et en cuisine ; de l'extraction minière réussie ; et des horloges en grève. Alors malgré quarante années à penser son film, Coppola n’est décidément pas à l’heure de la modernité, du moins selon les réglages de notre montre, puisque certains boomers masculins qualifient ce long-métrage de véritable fontaine de jouvence. Nous serions plutôt d’avis d’indiquer à Francis quelques EHPAD en France dont le design mériteraient son sens des lignes et quelques pennies pour un relooking de façade, car rendons à César ce qui appartient à César, il reste maître en la matière. Attention toutefois à l’odeur de naphtaline.

kazinekazine
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le 13 nov. 2024

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