Après des décennies d’attente et de mystère, Francis Ford Coppola livre enfin Megalopolis, une fresque monumentale qui embrasse la démesure et l’ambition avec une audace rare dans le cinéma contemporain. Projet personnel du cinéaste depuis plus de 40 ans, ce film se présente comme une œuvre hybride, à la croisée de la science-fiction, de la tragédie romaine et du commentaire social.
Une épopée romaine au cœur d’une Amérique en déclin
Megalopolis transpose la grandeur et la chute de Rome dans une version dystopique des États-Unis, où New Rome, ville tentaculaire en pleine crise, devient le théâtre d’un affrontement idéologique titanesque. D’un côté, César Catilina (Adam Driver), visionnaire utopiste capable d’arrêter le temps, incarne un avenir où l’art et la science transcendent les limites humaines. De l’autre, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), maire réactionnaire, lutte pour préserver un système corrompu et répressif, s’accrochant aux vestiges d’un monde en décomposition. Entre eux, Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), fille du maire et icône mondaine, oscille entre ces deux visions du futur, tiraillée entre ses sentiments et sa quête de sens.
Coppola, en fin stratège, s’inspire librement de la conspiration de Catilina dans la Rome antique pour bâtir une métaphore de l’Amérique contemporaine. À travers ce duel idéologique, Megalopolis interroge le pouvoir, la décadence et la possibilité d’un renouveau dans une société gangrenée par les inégalités et la cupidité.
Une mise en scène grandiose et expérimentale
Visuellement, Megalopolis est un choc. Coppola, loin de s’en tenir aux codes classiques du blockbuster, opte pour une esthétique baroque et futuriste, où les décors monumentaux évoquent autant la Rome antique que l’architecture brutaliste et cyberpunk. La photographie, oscillant entre clair-obscur expressionniste et explosions de couleurs saturées, donne au film une identité visuelle unique, à mi-chemin entre le théâtre antique et le délire numérique.
Le montage audacieux, fait d’ellipses temporelles et de ruptures de ton, rappelle le Coppola expérimental d’Apocalypse Now ou de Rumble Fish. Certains passages, quasi oniriques, plongent le spectateur dans une transe sensorielle, où le temps semble suspendu, en écho aux pouvoirs de Catilina. La musique, mêlant compositions orchestrales grandioses et sonorités électroniques, renforce cette impression d’être face à une œuvre hors du temps.
Un film radical qui divisera
Il est certain que Megalopolis ne plaira pas à tout le monde. Par son ambition démesurée et sa narration éclatée, il risque de perdre les spectateurs en quête d’un récit plus linéaire. Mais c’est précisément cette audace qui en fait une œuvre fascinante. Coppola ne cherche pas à rassurer, il provoque, il interroge, il bouscule. Certains dialogues prennent des allures de manifeste philosophique, et le film, à l’image de ses personnages, hésite entre le chaos et l’utopie.
Si Adam Driver livre une performance habitée, incarnant un Catilina aussi charismatique que tourmenté, c’est Giancarlo Esposito qui surprend le plus. En maire tyrannique, il campe un antagoniste glaçant, à l’opposé des rôles plus nuancés auxquels il nous avait habitués. Nathalie Emmanuel, quant à elle, apporte une touche d’émotion brute, incarnant le dilemme moral du film avec justesse.
Une œuvre-somme pour un cinéaste légendaire
Avec Megalopolis, Coppola ne cherche pas à réitérer ses succès passés, mais à réinventer son art. À 85 ans, il signe une œuvre-somme, synthèse de ses obsessions sur le pouvoir, la corruption et la grandeur déchue. Ce film, qu’il a financé lui-même, n’est pas seulement un projet personnel, c’est une déclaration d’indépendance artistique face à une industrie frileuse.
Alors, chef-d’œuvre visionnaire ou délire mégalomaniaque ? Peut-être un peu des deux. Mais une chose est sûre : Megalopolis est une œuvre qui marque, qui questionne, qui reste en tête bien après le générique.