Pâté en croupe
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L'Esquive et La Graine et le mulet avaient été des évidences. J'étais allé les voir avec confiance, et le résultat avait été à la hauteur de mes espérances (avait même dépassé mes espérances en ce qui concerne le second). Mais les deux derniers films de Kechiche n'étaient pas dans la même catégorie. C'est avec une certaine crainte que j'ai commencé La Vie d'Adèle et Mektoub my love, crainte que Kechiche ne cherche à employer le sexe et la promesse de scènes dénudées dans le but d'attirer le chaland et pour masquer l'absence de propositions cinématographiques (comme c'est trop souvent le cas).
La scène d'ouverture de Mektoub my love n'a pas forcément apaisé mes craintes. Cependant, petit à petit, je comprends que le film dépasse de très loin toutes mes espérances. Déjà parce qu'au lieu de parler de sexe, le film parle de séduction et de la fascination pour les corps. Mektoub my love est un film corporel et, partant de là, incroyablement sensuel. Il y a tout un jeu très subtil sur les regards, une façon de regarder le corps de l'autre, mais aussi de chercher à attirer les regards (c'est clairement chez Kechiche qu'il y a les plus belles scènes de danse du cinéma français contemporain, que ce soit dans La Graine et le mulet ou ici).
Ces corps en liberté sont mis en valeur par tout un travail sur la lumière, mais aussi sur l'eau. Il faut voir ces magnifiques contre-jour, ces corps baignés d'une lumière chaleureuse et vivifiante, ces scènes où les personnages jouent sur la plage, les filles hissées sur les épaules des garçons. Il faut voir le soleil se refléter sur les gouttes d'eau parsemées sur le corps d'Ophélie pendant qu'elle explique pourquoi elle trompe son jules parti trop loin et depuis trop longtemps...
Le soleil, la mer, la danse, les mouvements, les sourires aussi (le sourire d'Amin est absolument irrésistible), le rejet de toute morale qui enfermerait les personnages et les empêcherait de profiter de la vie (jamais le spectateur n'est en position de condamner tel ou tel personnage sur des critères moraux ; Ophélie trompe son copain ? Jamais Amin, dont le regard traverse tout le film, n'a même la tentation de la critiquer ou la dénoncer pour cela) : Mektoub my love est un film sur la vie, sur le désir de vie. A l'opposé de ces nombreux cinéastes qui cherchent à déprimer leurs spectateurs par une vision froide et grise, Kechiche nous donne un film plein de soleil et de vie, un film débordant de jeunesse et de santé.
Un film où tout est pris sur le vif. En bon disciple de Pialat et de Cassavetes, Kechiche a une façon unique de faire des films qui sont des tranches de vie. Ici, pas d'histoire racontée, pas de scénario artificiel avec un début, un milieu et une fin, pas de schéma narratif collé sur des personnages avec leurs péripéties et leurs résolutions toujours plus ou moins sorties de nulle part. Ici, comme dans La Vie d'Adèle, nous avons juste un épisode de la vie des personnages.
Tout est écrit, filmé et joué avec un naturel confondant. Je ne sais pas si l'improvisation entre dans la méthode de Kechiche, mais cela ressemble de façon surprenante aux meilleures scènes de Cassavetes. Nous sommes vraiment immergés dans ce sud, auprès de ces quelques jeunes. Nous sommes nous aussi plongés dans cette lumière, ces chaleur, cette douceur. Au point que ce fut presque douloureux d'en sortir. Si le film avait duré le double de temps (en conservant cette qualité, bien sûr), ça ne m'aurait pas déplu.
Mais si tout semble si naturel, ça n'enlève rien au fait que le film est formidablement bien travaillé. On sent que tout est réfléchi, ouvragé, mais en discrétion. Kechiche ne cherche pas à jeter son talent aux yeux du spectateur, il le cache. Du coup, il est très facile de passer à côté du film, de ne pas voir à quel point il est magnifiquement bien écrit, à quel point ces dialogues sont remarquables derrière leur apparente légèreté, à quel point cette réalisation est fine et précise.
Kechiche nous livre ici un film sur la séduction qui n'est pas sans rappeler les meilleurs Rohmer (Pauline à la plage est une référence incontournable pour ce film, je pense) mais aussi Marivaux (merci à Pasiphaé pour la référence, qui est très juste). Les dialogues, le jeu de langage, de regard et du corps, tout y est à la fois très bien vu et très bien pensé. Mais surtout, c'est débordant de vie. Et c'est cela qui importe, finalement : Mektoub my love est un immense chant de vie.
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Créée
le 12 août 2018
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