Le film parle de rejoindre une fin qui nous est obscure. Lorsque le ressenti du monde tourne à l'obscur, le monde vient nous chercher. Ce que melancholia apporte c'est la vie en elle, de tout son bleu : parce que le monde sombre, melancholia vient y apporter la vie. Dans les premières images la planète bleue vient absorber la terre, la terre est intégrée/agglomérée à l'ombre de melancholia (à l'intérieur, "derrière"); l'ombre de melancholia, là où est à jamais oublié tout ce qui a tourné le dos à la vie. Les faces ombre et lumière de melancholia n'existent que pour ce mouvement d’absorption : melancholia éclaire seulement là où a cessé la lumière, c'est pourquoi elle vient illuminer la terre, qui a sombré par le regard des hommes. Assez regardé, vous vous êtes éloigné et vous avez éteint la vie avec vous. Antarès, première étoile que voit Justine (et que melancholia cache dans les premières images du film), est le denier point sensible, le dernier repère qui permet de dire qu'on est encore là, et que même si ce rouge est douloureux il y a encore une place pour nous dans le ciel. Antarès caché, on ne plus "aller se chercher" depuis le monde; ce qui pouvait encore bouger cruellement et qui appartenait au monde, même ça n'existe plus.
Melancholia vient en face d'un monde qui s'est éteint à petit feu. Elle donne et oblige le monde à un dernier regard vital : illumination (fascination du monde pour melancholia, les yeux grands ouverts) et intériorisation (incorporation du monde par melancholia, clotûre des yeux). Le regard des habitants du monde a rendu la Terre distante : sa proximité décline, melancholia vient lui redonner, de force toujours, en face.
Lars Von Trier montre deux regards, deux appréhensions du monde qui s'écartent/s'opposent/s'équilibrent l'une l'autre autour de cette distance. D'abord un regard qui doit se reposer, s'habituer au noir, cf les quelques scènes où Justine et Léo ont envie de fermer les yeux ; melancholia les prépare au sommeil, à une vie qui les protègera à l'intérieur. Justine cherche à rester éveillée ("encore dans le monde") mais elle est attirée par le noir : quand ses yeux se ferment, ou dans le plan où elle disparaît dans le noir du golf, mais qu'elle veut ensuite rester à la lumière. Dans cette première partie de film, entre "rester à la lumière" et "attirée par le noir", le noir n'a pas encore gagné ; le monde est toujours à découvert, à l'extérieur, la lumière est encore celle du monde, donnée de l'extérieur (lampadaires, zones éclairées dans le golf, lune) et le noir est déjà ambivalent : à la fois dans le ciel source d'émerveillement avec les étoiles, à la fois zones d'ombres qui attirent, et un intérieur noir. Au début c'est l'occupation anodine: fascination de regarder le ciel et les étoiles. Puis Justine est DANS les étoiles, elle y reste en imaginant un voyage céleste. Le brillant des étoiles et du ciel, en plus du sentiment du cosmos, "passe" à l'intérieur. Une première accroche/penchant pour le monde intérieur. Des éléments retiennent pourtant encore Justine, lui permettent de se maintenir encore dans le monde. La cérémonie, et surtout son mari, incarnation de la gentillesse, cf la scène où il se projète avec elle dans le futur en lui disant qu'il a acheté un verger pour y faire pousser des pommes empereur "On sera heureux Justine, on y élèvera nos enfants. Je veux que tu conserves cette photo et chaque fois que ça n'ira pas, tu pourras la regarder, je serai là". Justine écoute, dit oui, et laisse la photo sur le canapé. Son mari, qui est "la dernière chance de bonheur sur Terre", finit lui aussi par ne presque plus exister. Dans la première partie du film ("Justine"), il y a une convergence entre 1/ la quantité d'éléments extérieurs qui diminue d'un côté (les hôtes, la cérémonie du début où tout le monde part : le monde se vide) et 2/ tout ce que melancholia finit par cacher=s'approprier. Ce qui est vidé du monde est rattaché à l'ombre de melancholia. Melancholia est d'abord cachée par le soleil (1ere image du film, symbole de vie du monde), et au début du film Justine est captivée par Antarès, qui brille encore si fort, "magnifique"; tous deux seront cachés par melancholia, la vision de ce qui brille à l'extérieur est transférée sur un besoin intérieur, sur le noir auquel prépare melancholia. Melancholia veut la vie (elle est la vie intérieure), et si elle veut la terre, c'est parce que les hommes ont perdu la vie sur Terre, que "la vie sur Terre est maléfique" comme dira Justine dans la deuxième partie. C'est le même mouvement que celui de la vie qui meurt sur terre et celui de melancholia qui vient la chercher, il n'y a pas d'un côté la terre qui meurt et de l'autre melancholia qui vient la détruire : comme la vie s'est coupée d'elle même sur terre, ce décalage est compris par l'univers sous la forme de l'arrivée de melancholia en même temps, nécessairement. Comme la vie s'est scindée elle laisse la place à des entités qui s'incarnent sur deux pans qui "tendent" la terre: l'intérieur de melancholia va rappeler la terre à la vie (la Terre symbole d'une terre "désincarnée" pour le coup), il est trop tard pour l'objet Terre : la seule issue à la vie est de recommencer. Petit à petit, extérieur et intérieur vont aller l'un avec l'autre : melancholia est d'abord une inquiétude intérieure, incarnation d'un intérieur, mais c'est aussi la vie; petit à petit le regard s'habitue à la voir, elle a tellement imprimé la rétine de l'univers qu'une fois happée la terre (et déjà maintenant), melancholia a sa place dans l'univers comme n'importe qu'elle autre planète : l'intérieur devient "extérieur" sans transition (si ce n'est le ressenti de la fin du monde). Une fois l'incorporation effective, la nécessité/animosité des deux entités cessera, la vie aura son dû. Pour l'instant la terre est une vie malade, un "résidu" de vie à convertir, et melancholia est le remède au désespoir du monde. Dans la deuxième partie, ce qui arrive sur terre ne peut plus être vécu dans les mêmes conditions : Justine goûte au pain de viande de sa soeur Claire, son préféré, mais il a un goût de cendre; la beauté aussi est "nouvelle", avec cette neige de cendres.
La perception déclinante que les hommes ont eu de la terre va déterminer sa destinée physique. L'extérieur, le monde, est devenu peu à peu un décor mort. L'intérieur devait se substituer à un regard qui a mis à mort la terre pour l'avoir trop observée. Cette observation du monde, c'est le deuxième type de regard, la distance de l'objet. Il est incarné par John, le mari de Claire, avec son télescope et ses preuves scientifiques. Pour Claire, ce regard objectif rattrape/rassure un temps son pressentiment intérieur. Pourtant même John "se prépare au cas où" avec son équipement de protection. Quand il s'aperçoit que ses prédictions s'avèrent défaillantes -après avoir pris sur lui la peur de Claire quand il la rassurait "tout se passera bien tu verras, la marge d'erreur scientifique est négligeable"-, il s'étouffe avec les médicaments de Claire qu'il avait lui-même scellé "pour son bien", puis va dans l'écurie et feind que le cheval (Abraham) est responsable. Les cris des chevaux, qui sentaient jusque là melancholia arriver, avaient participé à l'angoisse de Claire que "la nature venait les prendre". Ces cris étaient la peur effective que John gardait sous couvert de la science. Quand Claire découvre John inerte à côté d'Abraham, elle laisse partir le cheval, la peur n'est plus sous tension, il n'y a plus qu'à se préparer à mourir.
A propos d'Abraham : il fait voir à Justine deux moments clé, à chaque arrêt avant le pont. Chaque fois, Justine est violente avec lui, elle ne comprend pas ces arrêts et ne supporte pas que la dernière force vivante qui puisse la porter à (de) l'extérieur veuille s'arrêter là. Le premier arrêt est là pour faire voir à Justine qu'Antarès n'est plus. Au deuxième, il s'incline pour lui montrer l'apparition de melancholia. Alors les aspirants du monde intérieur sont en paix : la présence n'a plus à coexister avec l'extérieur, elle se l'est approprié. Pour Justine maintenant le monde est su. Claire prend la tendance inverse : ce qui pouvait être anesthésié par John ne peut plus l'être. L'intérieur a repris l'ascendant jusqu'à se rendre visible. John y réagit en l'interprétant comme un événement télescopique, tandis que Claire en prend la "juste mesure". Le moment de la fin des tourments intérieurs pour Justine marque la recrudescence de ceux de Claire (la seule encore attachée au monde) : ce que Justine accepte, Claire le redoute plus que tout et le sent dans ses tripes. Justine habite le monde intérieur, mais comme personne elle est vide et morte et tout est transféré en melancholia. Le regard d'antan du monde s'est inversé pour devenir celui de melancholia : ce qui regarde, ce qui donne maintenant, c'est melancholia. Son rayonnement est comme celui d'une déesse : Justine s'offre en entier nue à elle, illuminée, elle est la créature de melancholia.
Claire, qui fait encore parti du monde, ne peut pas mourir heureuse. Et Justine, juste avant l'impact, est prise aussi par la lumière bleue et froide de melancholia, elle sent malgré tout "la fin".
Léo est indécidé. Il sera pris par melancholia mais pour y renaître (la lune coupée en deux au dessus de Léo sur les images subliminales du début, une lune sans couleur, tandis que le bleu de melancholia est pour Justine et la lune jaune pour Claire). Léo est le protégé, la 3eme partie qui manque au film mais qui ne peut plus être décidée dans ce monde.