L'apocalyspe selon von Trier
Voilà pourquoi Lars von Trier est un cinéaste d'exception, "Melancholia" reste à ce jour un de ses films les plus abouti dans une filmographie déjà parsemée d'œuvres de qualité, mais celui ci réussi un tour de force des plus spectaculaire en proposant une vision intimiste de l'apocalypse, loin des blockbusters hollywoodiens, pied de nez fantastique. Après je ne sais pas si LvT voulait surfer sur la hype 2012 et des prédictions mayas, mais force est de constater que le film était sorti au bon moment (courant 2011) pour jouer avec l'angoisse inconsciente des spectateurs et en tirer une version poético-terrifiante de la fin du monde.
"Melancholia" est un film fataliste, cette gigantesque planète bleue va nous percuter, on le sait, ce flash-forward en guise d'introduction nous percute, d'un esthétisme époustouflant sous les violons de Wagner, le reste du long métrage ne sera qu'une lente agonie vers l'inéluctable. Et Lars est un type malin et indomptable, il n'entends pas nous divertir, il nous l'annonce même implicitement dès le début de la seconde séquence avec cette limousine ayant toute les peines du monde à traverser les routes sinueuses des bois amenant à ce château où se déroule le mariage de Justine, cette scène n'a pas de sens, placée là presque comme un avertissement signé par le réalisateur "Attention vous allez patiner !".
Cet acte de la cérémonie ratée semble presque interminable, mais c'est à mon sens complètement justifié et volontairement dépeint comme ennuyeuse et triste, on y voit en elle seule l'évolution du personnage de Justine incarné par Kirsten Dunst, d'abord paraissant comme une petite poupée souriante pour brusquement dériver dans une déprime quasi incompréhensible, par la suite on "comprendra" ce comportement, Justine est décrite comme une femme clairvoyante, elle sait les choses, elle sait qu'elle vit ses derniers jours, ainsi débute une lente descente aux enfers qui semblera lui enlever sa substance vitale et son insouciance.
Là où le film est réussi c'est grâce à son ambiance, les yeux rivés vers le ciel cette étoile sonne comme une menace pour les uns, une beauté inoffensive pour les autres, mais elle ne laisse pas indifférente, le shining de Justine nous effraie et l'espoir de John (Kieffer Sutherland) semble presque déconcertant de naïveté et de positivisme, le seul personnage qui a le cul entre deux chaises est celui de Claire (Charlotte Gainsbourg), au final c'est celui vers lequel on préfèrera s'identifier en quelque sorte, après tout l'introduction pouvait tout aussi bien être un rêve.
Von Trier garde son habitude à dresser des plans fabuleusement esthétiques pour les imbriquer dans ce style caméra à l'épaule, lointain souvenir du Dogme 95, les non initiés pourront être perplexes mais les habitués seront confortablement installés dans cette réalisation atypique et brillante. Les performances de Dunst et Gainsbourg sont parfaites, Lars a du bon à être odieux avec ses actrices, il arrive véritablement à en extirper le meilleur, la première étant légitimement récompensée à Cannes (Charlotte l'avait été pour "Antichrist" ou même Björk en 2000 pour "Dancer in the Dark"), globalement la mise en scène est un sans faute.
Le second acte nous dévoile plus précisément l'évolution pessimiste de Justine, la désincarnation du personnage et son rapport réceptif à la planète géante est encore plus effrayant car il nous convainc définitivement de la finalité de cette chute en avant, le cadre intimiste est loin des codes préconçus du thème de l'apocalypse (comme l'avait fait Shyamalan pour celui de l'invasion extraterrestre avec "Signs"), et ça a le mérite de convaincre car retranché et minimaliste. S'en suit un crescendo émotionnel personnifié par l'angoisse de Claire contrastant avec l'acceptation de Justine, le chaos se rapproche lentement mais sûrement, inévitable et sans espoir, les réactions sonnent admirablement juste et le final est franchement incroyable de puissance et de grâce.
"Melancholia" nous plonge littéralement dans l'agonie sombre et sinistre de la perdition terrestre et de la désincarnation humaine, nullement accroché à tout conformisme et ne songeant pas à prendre son spectateur par la main, fascinant, puissant et beau, un film limite jouissivement neurasthénique et misanthrope, pas de doute Lars est un grand.