Mélodie en sous-sol par Alligator
Nom d'une pipe de chameau vermoulu! Cela faisait une paye que je n'avais pas vu ce film, alors que j'en avais mangé quand j'étais marmot! J'avais le souvenir d'un grand film, bien bâti, charpenté, comme le Dab, avec de grosses mandibules, d'un film noir de casse. Finalement les années passent et n'ont pratiquement rien changé si ce n'est que l'enthousiasme s'est quelque peu éteint. J'aime toujours ce film, mais il m'apparait un tout petit peu moins grandiose. Fut un temps où je lui aurais collé un 9/10 facile. Plus exigeant avec l'âge, je lui mets donc un petit 8/10 bien tassé dorénavant.
Je ne sais pas... l'impression que le film est très marqué par une façon de faire très vieillie, notamment l'usage constant du studio, à l'heure où la nouvelle vague a déjà commencé de tourner en extérieur. Il en découle une impression de retard à l'allumage pour certaines séquences qui auraient gagné en véracité en extérieur, et qui ici sonnent faux, comme celle qui voit dans le fond une fausse mer, avec ses faux reflets de lune, sur ses fausses vagues, ou bien Delon sur la croisette en studio... on se dit qu'il y a véritablement des habitudes qui gâchent un peu, et on comprend que la nouvelle vague ait pu être exaspérée par cet aspect pépère du cinéma de papa. Que ces artifices fassent partie du jeu dans les années 40 ou 50, cela est d'autant plus concevable qu'ils ne pouvaient techniquement y échapper qu'à gros coups, mais dans les années 60, le charme commence à ne plus opérer. On est même un peu contrarié. Ou alors j'étais pas d'humeur?
Ceci dit, j'ai beaucoup d'affection mais plus encore d'admiration pour le travail de Verneuil qui fort heureusement ne se limite pas à ces petits détails. Du reste, il a su extérioriser ses films avec talent. Et l'on peut sans trop prendre de risque supputer que cette pépèrisation du tournage est en grande partie dû au fait que le vieux Gabin n'aimait trop l'idée d'aller se dorer la pilule au soleil du midi. Il a dû mettre la pression pour tourner en région parisienne.
Donc, les cinéphiles (toujours pareil : je parle de la majorité qui ne fait ni l'intégralité, ni la loi du genre, marquée dans le marbre) ont pour Henri Verneuil une reconnaissance qui me parait étrangement limitée, comme c'est d'ailleurs plus souvent le cas avec les réalisateurs de cinéma commercial (bouh, caca!) surtout s'ils ont le mauvais goût d'être français (beurk, la franchouille!). Pourtant, quand on y regarde de plus près, Henri Verneuil a prouvé qu'il pouvait sur la longueur proposer un style bien à lui, au delà de l'indéniable savoir-faire qu'il démontre dans le cinéma d'action.
Ce dernier terme ("action") est à prendre avec des pincettes, étant donné que son sens a bien changé en 50 ans. Il ne s'agit en aucun cas de biceps, mais de tension. Mélodie en sous sol est un film tendu du string, ou plutôt en l'occurrence du câble d’ascenseur.
Alain Delon présente un corps bien maigrichon en comparaison des acteurs bodybuildés actuels. Tout se passe dans le regard, dans l'aboiement, dans la personnalité des comédiens. Mieux vaut savoir jouer un personnage que jouer des biscoteaux. Et Alain Delon, encore jeune, sait y faire à jouer de son regard ténébreux. Attention chien méchant.
Jean Gabin est assis sur une filmographie impressionnante quand il tourne ce film. Tout en masse, le vieux en impose par sa corpulence, qui n'a rien de ronde, mais plutôt semble rectangulaire, monolithique, monument tutélaire sur lequel repose l'essentiel de la première partie du film.
Il est alors question du temps qui a passé, de cette France qui change déjà (Sarcelles est devenue New-York pour le vieux gangster). Il y cherche son chemin pour rentrer chez lui après 5 ans de tôle. La modernisation en marche des 30 glorieuses ne se fait pas sans égratigner le lustre du passé.
Michel Audiard se délecte de cette perplexité dans laquelle la France populaire patauge : inquiétude et nostalgie se mêlent dans ses dialogues. Mais il n'oublie pas non plus que le film a plus de mordant que de comique à faire valoir et ses dialogues sont plutôt agressifs, rentre-dedans. Peu d'envolées lyriques, peu de percussions drolatiques, on est davantage dans la petite philosophie pragmatique des marlous de l'époque : le pognon est roi, c'est et sera toujours le nerf de leur guerre. Et Delon et Gabin sont en guerre ; d'où ce braquage qui ne peut louper, une occasion inévitable.
Il y a bien Viviane Romance qui essaie de glisser son point de vue tout féminin, la tête sur les épaules, en rappelant au vieux qu'il est peut-être temps de prendre sa retraite. Mais en vain, car enfin, on est dans un monde d'hommes où la parole "femme", sensée, n'a pas voix au chapitre, trop en déficit face à celle de l'argent-roi.
Et puis, il y a la petite voix tantôt gaie et montante, tantôt chevrotante et humble de Maurice Biraud, représentation du français moyen, celui qui va aller voir ce film, auquel le scénario attribue l'espèce de bonhommie un peu naïve, mais au fond suffisamment honnête pour que le spectateur s'y reconnaisse et s'y sente bien à l'aise. Ce personnage dans un élan un peu trop niais pour être franc, exprime une humilité qu'on sent aujourd'hui hypocrite mais qui a pu, fut un temps, être sincère. Et puis, Biraud a la tête de l'emploi, c'est le type qu'on a envie d'avoir pour copain, histoire de rigoler quand on se tape la cloche, un franchouillard sympathique. Hâbleur au grand cœur, encore une fois il est parfait dans son rôle.
Les trois hommes se retrouvent à Cannes pour le casse du siècle. Concernant ce vol, je crois que là aussi le film prend un méchant coup de vieux. N'allez pas vous imaginer un "Ocean eleven", ni même "Les spécialistes". Dans sa conception, comme dans sa réalisation, le casse du casino reste tout à fait simple. Il n'empêche que la tension existe. C'est là une des forces principales du cinéma de Verneuil : avec pas grand chose, il arrive à installer un vrai climat, un suspense encore valable de nos jours.
Il est vrai qu'il est également aidé en ce sens par les compositions très modernes de Michel Magne. On ne dira jamais assez combien ce type savait inventer une musique originale, jazzy, avec une richesse de propositions épatante et finalement jouissive. Ses hurlements de trompette, ses percussions sur xylophone ou sur bois (qui rappellent étrangement ce que Goldsmith nous pondra 5 ans plus tard pour "La planète des singes") et ses plaintes métalliques (des scies?) sont autant d'éléments constitutifs d'un style singulier et innovateur qu'on retrouve dans les polars auxquels Magne a participé. Ici, la musique fait un peu plus qu'accompagner, elle hausse le niveau de tension. Que ce soit pendant ou après le casse.
Ah, ce final! Encore une de ces séquences mythiques qui ont marqué le cinéma français. Et qui, peut-être à elle seule place le film dans la catégorie du film noir, claironnant haut et fort que les héros sont maudits, que "bien mal acquis ne profite jamais". On soupçonne cependant que ce dernier heurt est plus destiné à câliner la morale bourgeoise qu'à dénoncer quoique ce soit comme c'est le cas généralement dans le noir. En tout cas, il n'y a qu'à voir le visage de Gabin qui se contracte, sa mâchoire se gonfle à force de se serrer, les yeux cachés derrière ses lunettes de soleil doivent incendier le mauvais sort.
Très belle fin pour un très bon film, à la mise en scène simple, somme toute peu inventive, mais qui utilise le cinémascope avec intelligence et efficacité, qui sait manier ses comédiens à merveille. Sans génie, mais redoutable, cette machine qu'est un film de Verneuil procure bien souvent un véritable plaisir de cinéma au spectateur. 50 ans plus tard, ça marche encore!