Mémoires d’un escargot
7.6
Mémoires d’un escargot

Long-métrage d'animation de Adam Elliot (2024)

Le précédent et premier long métrage d’Adam Eliott, Mary &t Max, est sorti il y a plus de 15 ans mais a laissé une trace durable dans l’imaginaire et la sensibilité des spectateurs. Un film d’animation pour adultes, en somme, ou les figurines en pate à modeler ne verse nullement dans l’idéalisme du conte de fée, mais éclairent d’une lueur noire les tourments des laissés pour compte.


Mémoires d’un escargot reproduit ainsi les dispositifs déjà mis en œuvre : un coloris sépia où la couleur se fait rare, une primauté accordée à la voix off, et un regard en surplomb qui, grâce à d’amples ellipses, couvre les turpitudes d’une vie entière.


Adam Eliott n’est pas un optimiste : son récit revisite l’isolement, les persécutions et l’abandon dans un monde décati, où les adultes ne semblent pouvoir trouver du sens que dans la perversion ou le fanatisme. Le sort de Grace et son frère dresse un portrait terrifiant de l’Australie, dont l’étendue est aussi exploitée pour séparer les deux, et instaurer un échange épistolaire qui faisait toute la trame de Mary & Max. La durée du récit insiste sur la construction, dans l’adversité et la solitude, d’un imaginaire décalé qui pourrait sauver de l’aspérité du réel. La collection des escargots, et la rencontre avec Pinky, vieille originale dont on annonce d’emblée la disparition, ouvre un univers secret, réservé aux cœurs brisés et aux isolés. La patience nécessaire à construire un tel film en stop motion, image par image, restitue cette construction modeste et endurante où chaque fragment contribue à l’édifice. Pinky est autant un débris qu’une femme forte, dont la singularité interpelle, puis bouleverse, rendant possible l’idée de poursuivre la route.


Au sein d’une noirceur terrible, et réellement éprouvante – le destin du frère dans sa famille fanatique occasionne des séquences proches du film d’horreur, la tendresse reste donc le fil conducteur. Si Adam Eliott peut charger excessivement la barque (l’arc avec l’évolution du mari est peut-être dispensable), son conte naturaliste n’oublie jamais de disséminer quelques motifs d’espoir. L’attention portée aux voix, particulièrement celle, omniprésente, de la narratrice, achève d’humaniser un récit où la destruction, la perte et la désillusion semblaient à même de dissoudre toute volonté. Et si les larmes coulent abondamment, elles sauront fertiliser le sol pour que les escargots poursuivent leur lente progression, et que les artistes en herbe continuent à prendre la parole.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
8
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