Mémoires d’un escargot
7.7
Mémoires d’un escargot

Long-métrage d'animation de Adam Elliot (2024)

L'animation stop motion a cette particularité de prendre forme à travers un réel (littéralement) palpable, et d'être un médium qui nécessite beaucoup de temps. Pourtant, rares sont les films à pleinement mettre en avant la beauté de cette art qui, pendant une période pas si lointaine, se résumait à reproduire le cinéma en prise de vue réelle. Cela a abouti à des aberration artistiques à la Monsieur Link, où les créateurs dépensent des centaines de millions pour finalement dire textuellement que le réalisateur a pris conscience des caractéristiques de la stop motion mais qu'il en aimait aucune d'entre elle. Il y a donc une forme de fraicheur lorsque des réalisateurs se lancent dans des projets moins propres et sages qui vient en réponse à une manière moderne de voir le cinéma. A un temps où tout doit être parfait, où tout doit aller de plus en plus vite (le tout grandement poussé par l'émergence des plateformes de streaming), où tout ne doit être qu'un redit du passé pour ne pas risquer de déplaire, des réalisateurs dans tous les secteurs de l'animation vont proposer une alternative à contre-courant. Que ce soit Dreamworks (Les Bad Guys, Le Chat Potté 2, Les Trolls 3...) qui se positionne contre la logique Disney exacerbé par le lancement de la plateforme Disney+, que ce soit les réalisateurs européens qui mettent en avant les danger que peuvent entrainer une vision trop étriquer de l'art et du monde (The Inventor, Les Inséparables, Linda veut du poulet)... un vrai mouvement s'est créé et s'est entretenu jusque dans la compétition du Festival International du Film d'Animation d'Annecy 2024 dont le palmarès s'en est retrouve très impacté. Flow, le plus récompensé avec quatre prix dont le prix du jury et le prix du public, s'inscrit totalement dans cette démarche, et c'est aussi le cas du lauréat du cristal du long métrage 2024: Memoir of the snail d'Adam Elliot. Pour être franc, je ne suis pas allé à la séance sans une part d’appréhension personnelle car, avec ce besoin d'émancipation et d'alternative à un cinéma trop lice et artificielle, on peut redouter du meilleur comme du pire. Je n'ai pas vu Mary et Max, érigé comme un classique du cinéma d'animation, mais j'avais assez d'éléments, que ce soit les visuels ou même la bande annonce, pour comprendre que Memoir of the snail allait être un film pour adulte qui risquerait d'aller loin dans sa démarche. Connaissant les capacités et le besoin qu'ont certains réalisateurs de stop motion à aller dans de l'horreur post Tim Burton, voire même dans du gore très graphique (Stopmotion de Robert Morgan en est un parfait exemple moderne), je m'hésitais à aller voir ce cristal du long métrage 2024 qui finalement se révèlera être l'un des meilleurs films de l'année.


Si le film est violent et est cruelle, c'est avant tout pour mettre en avant l'humanité de ses personnages, et par ricochet celle de ses spectateurs. A travers l'anormalité permanente de l'univers, avec des personnages totalement décalés, la violence et l'horreur deviennent un moyen de décomplexion et d'extériorisation des émotions. Que ce soit un harceleur qui se fait péter le doigt de manière violente ou une grand mère qui s'est couper un doigt avec les pales d'un ventilateur de plafond, que ce soit de colère ou de rire, la violence extrême est avant tout le symbole d'une émotion qui n'attend qu'à sortir, et invite le spectateur à faire sortir ses émotions. Cela s'inscrit dans le propos même du film et dans le parcours de l'héroïne principale qui, elle aussi, doit apprendre à faire sortir ses émotions, d'arrêter de tout contenir et de subir des conventions qui la détruit physiquement et mentalement. Un des personnages qui représente le mieux ce décalage vis-à-vis des conventions reste la grand mère que va rencontrer le personnage principale qui, malgré le fait qu'elle craigne de devoir se déconnecter totalement du monde qui l'entoure, ne va pas se priver de vivre selon ses règles dans des séquences qui sont parfois hilarantes. Comme dit précédemment, le film nous parle de la nécessité d'aller de l'avant et d'accepter les sacrifices qu'amènent le changement. Cependant, il n'est pas non plus question de nier la réalité, car l'évolution et la marche en avant nécessite que l'on soit conscient de là où on avance, kit à ce que l'on ne sache pas vraiment ce que l'on va rencontrer à la fin du voyage. Un des symboles de cela reste la famille au coutumes sectaires, qui vivent dans un déni de réalité assez violent, qui condamnent toute forme de créativité, et qui se torturent mutuellement pour les plaisirs d'un prêtre manipulateur et cultivateur de pommes. Le film développe ainsi un univers foisonnant, poétique, toujours signifiant et jamais gratuit.


Tout le film se veut comme un bilan, où le réalisateur raconte de lui à travers le personnage principal, et nous fait partager une partie de sa vie. Le réalisateur a annoncé à Annecy qu'il voulait prendre le temps de faire les meilleurs films, et que l'ensemble des animations du film ont été réalisée sans ordinateurs, dans une volonté de tout faire traditionnellement. Cela donne un charme indéniable et cela explique en grande parti pourquoi le film a mit 8 ans à se réaliser. Certaines séquences sont à peine croyables tant elles reproduisent à la perfection certains effets de l'animation numérique, et en pure terme narratif, les 8 ans ont grandement été utiles. En effet, avec un film de cette ampleur, il y a une nécessité de revenir à l'essentielle et une réflexion accru sur les séquences que l'on doit conserver ou non. Aucune séquence ne semble en trop, toutes les scènes, toutes les répliques sont parfaitement calibrés, et on ne voit pas le temps passer tant tout est harmonieux. Cela est d'autant plus un exploit que l'ensemble du film est raconté depuis un regard extérieur, celui du personnage principale, qui va raconter l'ensemble de sa vie pour finalement arriver à un climax qui se veut comme une épreuve lui permettant de démontrer qu'elle a (ou non) compris comment évoluer. Cela peut avoir ses inconvénients, comme le fait d'être très souvent détaché de l'action à proprement parlé parce que l'action nous sera raconté dans un cadre passé, et on aura donc des moments assez rares où l'on pourra être pleinement en contact des personnages. Cependant cela a surtout l'avantage de mettre en avant les moments forts émotionnellement parlant pour le réalisateur, comme les différentes séquences avec la grand mère qui a indéniablement eu une place importante dans sa vie, mais aussi de mieux mettre en avant lorsque le personnage principale prendra la décision d'aller de l'avant (ou non).


Maintenant, le film n’échappe pas à certains travers qui peuvent déranger. D'une part, pour aller de l'anecdotique au plus dérangeant, les personnages souffrent par moment de la charge de travail d'ensemble, et certains personnages n'ont pas de masques pour cacher les limites entre le visage et la marionnette. Ce n'est pas tant un choix esthétique comme dans Anomalisa, mais bel et bien des moments, sur les séquences les moins importantes, où la délimitation entre le visage et la marionnette est visible. Certains personnages arrivent à tricher sur leurs design avec une accentuation des sillons nasogéniens, mais parfois on a ces ratures (grandement dû à la charge de travail) qui peuvent nous sortir du film. D'autre part, le film dure 1h34 (ce qui est conséquent pour un film d'animation), que c'est de la stopmotion, et même si le film est brillamment écrit, le film est un peu long, mais ce n'est pas un mal en soit, et le réalisateur est conscient du poids que peut avoir son récit qui cumule plusieurs récits sans réelle but ou objectif. C'est pour cela que le film suit une structure assez classique, s'ouvrant sur une scène et déroulant par la suite un récit devant expliquer l'histoire derrière cette scène. Le soucis étant que, même si l'on ne s'en rend pas compte durant le visionnage, la scène d'ouverture peut désamorcer beaucoup de situations, car montrant des personnages (notamment leurs corps) qui sont condamné à rester inchangé, malgré des séquences où les corps sont mit à rude épreuves. Pourtant, c'est aussi là pour trouver une fin à un récit qui, au bout d'un moment, peut perdre le spectateur sur la finalité. En effet, le plus gros problème du film reste sa fin et sa manière de se conclure qui est un peu laborieuse pour pas grand chose. Peu être par manque de confiance en son propos de fond, le réalisateur propose une fin qui se veut limpide, mais qui finit par être assez maladroit et grossier tant ce dernier est appuyé. On se retrouve ainsi avec une première fin, une deuxième, une troisième, un saut dans le temps, un épilogue, un deuxième... Alors qu'on aurait surement pu avoir une fin tout aussi belle et tendre sans être aussi laborieuse. Il n'empêche pas le film d'être admirable, et que cette fin n'est qu'un point parmi tant d'autres beaucoup plus intéressants.


Memoir of the Snail est un film tendre, sensible, d'une douceur folle, et dont on aime l'élégance avec laquelle il nous brise le cœur pour mieux le réparer. C'est une très belle surprise que de découvrir autant d'amour dans autant de malheur, autant d'humanité dans autant de noirceur. J'ai déjà hâte de le revoir et de replonger dans la vie de cet escargot amené à sortir de sa coquille.


16/20


N’hésitez pas à partager votre avis et le défendre, qu'il soit objectif ou non. De mon côté, je le respecterai s'il est en désaccord avec le miens, mais je le respecterai encore plus si vous, de votre côté, vous respectez mon avis.

Youdidi
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le 28 juin 2024

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