The Memory don't die

Dernier film d'Apichatpong Weerasethakul, Memoria projette le réalisateur en "terre étrangère", en Colombie. Celui-ci explique que la Colombie lui est apparue comme l'endroit idéal pour son nouveau long-métrage à travers son dernier séjour : celui-ci lui aurait laissé diverses émotions étranges, peu familières. Ces sensations, à l'origine du film, auraient permis à toute l'équipe de se projeter dans un espace vierge pour inventer quelque chose de neuf, quelque chose de jamais entrepris auparavant.

Le film est une entreprise poétique composée de nombreux plans fixes avec beaucoup de profondeur de champ. La mémoire est au centre de l'œuvre, que ce soit à travers le service d'archéologie, les différents trous de mémoire des personnages, les souvenirs qu'ils partagent, ou qu'ils trouvent par terre ... Le montage est très travaillé comme l'indique par exemple la voix off qui s'élance dès le générique, ou ce bruit d'écoulement de l'eau qui annonce le petit chapitre dans le jardin.
L'image est également magnifique. Les plans sont de véritables tableaux décomposés en plusieurs zones. On se rappellera par exemple de ce moment hors du temps au bord de l'eau : l'espace est délimité par la rivière, le mur végétal à gauche, le jardin à droite, la cabane dans le fond du champ. Le bruit de l'eau qui s'écoule est la seule preuve du temps qui passe.

[Spoiler alert]
Même si le réalisateur, et l'actrice Tilda Swinton (également productrice) revendique le côté inédit du travail réalisé, on ne peut s'empêcher de rapprocher ce travail poétique énigmatique du très étonnant The Dead don't Die de Jim Jarmush. Il semblerait que ces deux films ont en effet pour point commun de mettre en scène Tilda Swinton comme extraterrestre parmi les humains (clairement dans The Dead Don't Die, "pas de la même espèce" pour Memoria et seule à entendre les détonations d'un vaisseau spatial alien). Hommage au réalisateur américain, ode à l'une des plus grandes actrices de notre époque, ou simple surinterprétation du spectateur cinéphile ?

A l'heure où j'écris ces lignes, le palmarès du jury du festival de Cannes n'est pas encore dévoilé. On peut cependant penser que ce film remportera une récompense, peut-être même la palme d'or ?