Sound & fusion
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Le cinéma est un art aux conceptions diverses, un art multiple, entre ce qui s'apparente à du théâtre filmé ou à de la littérature, ou au contraire une idée bien plus visuelle de l'art, un mélange des deux, etc. S'il s'agit pour moi certainement d'un art avant-tout visuel, dont l'essence réside dans l'image et ce qu'elle exprime en son fort intérieur plutôt que dans ce qu'elle dit littéralement, toujours est-il qu'il faut savoir faire un vrai film visuel. Et cela n'est pas aussi facile qu'il ne semble. Le cinéma est certes visuel, ce n'est pas de la peinture. Il en reprend des codes, des perspectives, des cadrages, et une idée du mouvement, mais il n'est pas à confondre avec la peinture, il faut le rappeler, aussi absurde que cela puisse paraître. La beauté des images cinématographiques ne réside pas uniquement dans leur fixité, dans le tableau littéral animé, mais également dans le montage. Quand Tarkovski dit que l'essentiel de la création du film se déroule au tournage et non pas au montage, il n'a certainement pas tort, les images se fixent bien au tournage, seulement elles prennent bien plus de sens au montage, par la juxtaposition des idées, des plans, des atmosphères, qui leur donne toute leur beauté et créé véritablement un monde à part au mieux de simplement retranscrire.
Cela, Apichatpong Weerasethakul ne l'a certainement pas compris, ou s'y oppose de manière absurde. Certes, je serai le dernier à critiquer une expression visuelle aussi «immersive» (c'est le moins qu'on puisse dire immersif... mais dans le sommeil), seulement il s'agirait de construire son film de manière cohérente. Dans Memoria, Weerasethakul ne pratique quasiment aucun montage: simplement un assemblage de plans-séquences fixes, dans la ville ou dans la jungle, nature et urbanisme... L'occasion de «narrer» un récit soporifique, entre fantastique pseudo-philosophique et science-fiction insipide (ce plan de vaisseau spatial...), où Weerasethakul semble s'extasier devant chaque occasion de filmer un «truc». Tel est le film, un assemblage de «trucs». Une table de mixage filmée pour retranscrire un son (soyons honnêtes, il s'agit sûrement tout de même d'une des scènes les plus intéressantes et amusantes du film). Un homme retirant les écailles d'un poisson. Une salle d'enregistrement de musique. Une rivière. Un homme qui dort. Une jungle. Un bruit. Voilà tout. Certains applaudiront un film «contemplatif», «philosophique», là où il ne s'agit que d'un mélange indigeste d'idées. Des bonnes, cela est indéniable (la scène du mixage, et l'avant-avant-dernière scène, avant les vingt-deux autres fins inutiles, qui présente un mélange de sons, de vies tout simplement, assez vertigineux), mais beaucoup, beaucoup de mauvaises qui dominent le long-métrage.
C'est bien simple, en presque deux heures et demi de film, Weerasethakul se perd et ne filme que véritablement une fois son personnage principal, dans un des uniques gros plans du film, qui vient insuffler de l'action dans ce qui semble alors être un blockbuster par rapport aux deux heures précédentes. La fine ligne entre contemplation de la nature et complaisance agaçante est alors franchie, pour une vision cinématographique banale. Un film dans lequel «every frame is a painting», «chaque plan est une peinture» (https://www.youtube.com/c/everyframeapainting chaîne de bonne facture), peut être un bon film et a des chances de l'être, mais ne l'est pas forcément. Là où la peinture se suffit à elle-même par sa manière de fixer un moment indéterminé et de le déployer devant le contemplateur dans toute son immensité (ou au contraire dans son minimalisme bien sûr), le cinéma ne peut évidement se réduire à cela, la reproduction du mouvement étant déjà de facto dans l'ADN de cet art. Non il s'agit d'unir différentes peintures, de les mélanger, les croiser, et croiser leurs mouvements pour créer quelque chose, en dehors de l'espace fixé par le cadre. Apichatpong Weerasethakul se refuse à cette pratique et préfère fixer des plans longuement à l'écran. Libre à lui d'en faire ainsi bien sûr, mais libre au spectateur également de s'endormir devant ses images plutôt que de les contempler comme il le voudrait.
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le 19 nov. 2021
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