Pour son deuxième long-métrage après Barking Dogs, le réalisateur Bong Joon-ho s'émancipe en 2003 et impose sa patte à travers le monde en proposant Memories of Murder, énième thriller issu de la nouvelle vague du cinéma sud-coréen remportant moult prix mondiaux et notamment en France où il gagne le premier prix du Festival du Film Policier de Cognac en 2004... Nous y découvrons tout le savoir-faire du metteur en scène coréen, sa capacité à mélanger les genres sans jamais se détourner de son objectif premier, délivrant à chaque plan une mise en scène léchée et travaillée autour d'un scénario intelligent qui tiendra en haleine jusqu'à la fin.
L'histoire vraie d'une enquête policière dans la campagne coréenne des années 80 où, fait rare, un serial killer particulièrement pervers sévit. Utilisant le classique stratagème du buddy movie avec deux flics que tout oppose (Park Doo-man le campagnard superstitieux aux méthodes arriérées et Seo Tae-yoon le flic de la ville qui croit aux méthodes scientifiques), piétinant sans cesse dans une interminable enquête qui ne peut avancer lorsque les policiers n'arrivent pas à délimiter une scène de crime, effacent malgré eux les preuves, tabassent constamment les suspects et se basent sur des spéculations douteuses, le tout dans une Corée en pleine libéralisation politique où règnent encore couvre-feux et manifestations pour la démocratie naissante du pays.
À travers cette enquête aussi sombre que foncièrement drôle, Bong Joon-oh délivre une société typiquement coréenne, confrontant les classes sociales, critiquant l'incapacité de la police locale et pointant allégrement du doigt les travers d'une société pas si lointaine que ça. Mixant avec génie polar désespéré et comédie à l'humour terriblement noir, Memories of Murder est une réussite totale constamment époustouflante où l'impressionnante mise en scène de son réalisateur nous happe sans lâcher, où l'interprétation aux petits oignons de sa galerie d'acteurs déjantés (dont Song Kang-ho, qui restera fidèle durant toute la filmographie de Joon-ho ou presque) et où le message quasi-pamphlétaire, finement inséré au récit, prouve que le cinéma coréen, déjà en 2003, pouvait côtoyer les plus grands polars avec une aisance déconcertante.