Et si "Memories of Murder" était l'un de ces films exceptionnels qui semblent meilleurs à chaque visionnage ? Sorti en France en 2004, à une époque où les bonnes nouvelles - les bons films - affluaient de Corée, qui avait tout du "nouveau pays du Cinéma", "Memories of Murder" ne ressemblait à rien de connu, surtout dans le genre déjà nauséabond du "film de serial killer". "Memories of Murder" était un vrai choc : on avait affaire, derrière un semblant d'enquête policière, annoncée comme adaptée de faits réels, à la peinture cauchemardesque d'une société à la fois primitive et totalitaire (on est dans les années 80), dans laquelle des policiers, hébétés et démunis, se laissaient entraîner dans une chasse à l'homme dérisoire, qui ne débouchait bien sûr sur rien, hormis la certitude destructrice de n'être que les jouets, au mieux du destin, au pire de leurs propres pulsions animales.
En 2016, "Memories of Murder" continue à fonctionner impeccablement, grâce à ses différents niveaux de lecture, de l'analyse politique de la société coréenne étouffée sous une dictature archaïsante à la chronique - assez drôle - de l'éveil au modernisme d'une communauté attardée. Sec, sombre, poignant, rugueux... mais aussi lumineux, miraculeux, drôle, absurde, décomplexé, "Memories of Murder" demeure un grand film "moderne", en particulier grâce à une narration qui semble disjointe, mais qui finit par constituer la chronique accablante et terriblement humaine d'un échec prévisible. La mise en scène de Bong Joon Ho, toujours à la juste distance par rapport aux horreurs décrites, toujours légère et pertinente jusque dans ses brusques (et rares) virages vers le film de genre, en fait une merveille inépuisable... même si l'on en sort à chaque fois abattu, attristé, en particulier à cause d'une scène finale d'une beauté et d'une force exceptionnelles. [Critique écrite en 2004 et 2006, remise en forme en 2016]