Ambiance
Je l'ai revu. Encore.
Et force est de constater, qu'à chaque visionnage il me claque de nouveau, et m'ouvre des portes sur des éléments que je n'avais pas forcément vu au premier abord. Donc, attention, gros SPOILERS en vue. En clair si vous n'avez pas vu le film, passez votre chemin, et courrez le voir surtout !
Comment pourrait-on définir la claque au cinéma ? A quel moment peut-on affirmer que l'on a "pris une claque" ? Chacun peut se faire une idée, chacun a un réaction bien précise, quand tu te rend compte que le film est parfait tel qu'il est, qu'il n'y a rien à rajouter, que tout est à sa place. Personnellement j'ai tendance à regarder le générique en entier. Et pour Memories of Murder, je l'ai regardé défiler, la bouche grande ouverte, me laissant bercer par la musique, hanté par cette dernière image.
Le film s'achève et nous achève par la même occasion.
Mais prenons le film dans le bon sens. La scène d'ouverture est un modèle du genre, une maîtrise technique incroyable, quand photographie et mise en scène ne font qu'un. On ouvre sur des couleurs vives, dominées par le jaune, des enfants jouent, un tracteur avance au rythme d'une musique douce, tout semble paisible. Et au détour d'un caniveau l'horreur s'abat, une femme nue la tête recouverte par sa culotte s'offre à nos yeux. Le premier choc intervient au bout de 2 minutes et on n'a rien vu venir. Comme un avertissement avant que la foudre ne s'abatte.
S'en suit une scène d'interrogatoire farfelue, le trouble est déjà présent, on sent cet inspecteur déjà perdu, on ne sait définitivement pas où cela va nous mener. Et rien n'a été fait pour nous préparer d'une quelconque façon, la chute n'en sera que plus rude.
Mais la vraie première claque intervient juste après. Un plan séquence chorégraphié à merveille, d'une difficulté technique remarquable. La caméra de Bong Joon-ho virevolte derrière l'inspecteur Park, on le suit se démener au milieu d'une scène de crime dans laquelle gambadent des enfants autour d'un nouveau corps. L'anarchie la plus totale règne et ne permet pas la vraie appréhension de l'horreur sous nos yeux, le corps étant relativement peu montré, pas grand monde ne s'y intéresse vraiment. Mais l'image se ternit, fini le jaune chatoyant de l'ouverture, on ne voit plus que du gris, tout est plus sombre la tempête approche.
Bong Joon-ho fait progresser son histoire petit à petit, la pluie apparaît, la tension dramatique avec, on ne voit plus une police qui cherche à arrêter le coupable, on voit une police qui veut des résultats avant tout. Les chiffres passent avant l'humain. Il nous berce dans une réalité qui ne nous convainc pas, on a l'impression que les choses avance, pourtant, rien n'est plus clair que ce que l'on sait déjà, et les corps se multiplient. Le réalisateur joue donc avec nous, il nous ment constamment, joue sur son histoire à merveille et nous perd dedans de manière remarquable. Et d'ailleurs, il ne laisse rien au hasard, nous piégeant dès l'apparition du titre à l'écran.
Memories of Murder. Rien que le titre est empreint d'une certaine poésie, quand on connait le fin mot de l'histoire. C'est un hommage à un personnage, le seul qui sait mais qui ne dira rien, le film se construisant autour de ce paradoxe, et nous faisant retenir notre souffle deux heures durant. Un personnage qu'on oublie vite, mais qui est pourtant d'une importance capitale. Voilà la vraie force du film, être capable de nous faire oublier l'élément clé de son histoire, le réel détenteur de la vérité, car le réalisateur a décidé de nous la cacher.
Outre la maîtrise impressionnante de son récit et de son histoire, ce qui me frappe le plus, je l'ai mentionné plus haut au détour d'une scène, c'est cette alchimie absolument parfaite, qui atteint, je trouve, des sommets, entre la photographie et la mise en scène. Il sait tout faire, une course poursuite menée à 100 à l'heure, filmer la tension comme personne et nous accrocher à notre siège rien qu'avec une ambiance poisseuse et terne. A partir d'un certain moment, on ne voit que de la pluie, son arrivée est progressive, elle marque la fin du soleil à l'image, la fin d'une lumière qui était là pour nous rassurer. Bong Joon-ho n'a pas créé un simple chef d’œuvre, il en a profité pour livrer une démonstration de ce qu'on appelle la mise en scène au cinéma. Une maîtrise de tout les éléments techniques et artistiques qui sont à sa disposition, du cadre au son, en passant par le décor et la lumière, rien n'est laissé au hasard. Et c'est cette droiture dans ses choix qui rend le film froid, cette grandeur technique ne laisse pas de place à l'imprévu tout est calibré de sorte à ce que les évènement arrivent dans un ordre précis. Et c'est là qu'intervient la séquence du tunnel.
Rarement je n'ai été aussi stressé et aussi touché psychologiquement devant une simple de séquence, une demi heure dantesque et frissonnante, qui te fait passer du chaud au froid, de l'espoir au désespoir, en un claquement de doigts.
Il pleut fort. Tout semble accabler ce jeune homme. Le détective Seo, celui qui a apporté un espoir de solution, craque psychologiquement (des morceaux de pêches dans le vagin bordel !) et confronte le suspect de manière violente. Les deux inspecteurs ne se ressembleront jamais, leur psychologie s'inverse et le désespoir s'ouvre à nous une nouvelle fois. Malgré un test ADN, on ne saura jamais qui sera ce tueur. Le mensonge est complet, la danse funèbre se referme sur nous, il n'y a pas de solutions, pas d’échappatoires. On ne sait rien, plus rien n'a de sens. Et il y a ce tunnel dans lequel s'échappe le suspect, chancelant, avançant dans les ténèbres d'une injustice qui hantera à jamais les deux protagonistes. Et nous spectateur par la même occasion...
Grandiose.
Et au moment où l'on se trouve au plus bas de l'échelle, qu'on sait qu'on n'aura pas la force de remonter, Bong Joon-ho finit de nous mettre au tapis et s'assure qu'on y restera. L'ultime séquence se déroule 20 ans après. Park n'est plus flic et empreint de nostalgie, décide de retourner sur les lieux du premier crime. Le jaune pétant est de retour, rassurant. Il nous a eu une fois, il va recommencer. Une fois au début une fois à la fin, la boucle est bouclée. Mais cette fois il ne jouera pas sur la dureté de l'image, mais sur le pouvoir des mots et ce que cela peut représenter, sortis de la bouche d'un enfant. Des enfants, on a l'impression d'en avoir vu trainer tout le film, on ne sait plus quoi penser. Elle se tient devant nous, toute gentille et toute mignonne qu'elle est, et avoue avoir vu le visage du meurtrier. Bon elle ne le dit pas comme ça je vous passe les détails, mais de savoir qu'il y a eu une confrontation entre l'horreur incarné et l'innocence la plus pure fait froid dans le dos, et démontre une nouvelle fois le génie de son réalisateur. Et intervient alors un moment magistral. A la dernière réplique, où la fillette indique que le meurtrier a juste un visage ordinaire, il y a ce regard caméra qui vient clore le film.
Le regard caméra bordel ! C'est interdit au cinéma, c'est un principe de base, sinon le cinéma perd tout son sens. Et l'utiliser à ce moment du film, avec ces mots qui résonnent dans la tête, c'est juste du grand art. Je ne mentionnerai pas le jeu de Song Kang-ho qui est un acteur fabuleux, mais le fait qu'il nous mette face à l'horreur et qu'il nous confronte ainsi me fout la chair de poule. Désespéré de ne pas trouver de réponses, il se tourne vers le seul endroit où il est certain de tomber sur des personnes lambda. Chaque spectateur peut être considéré comme étant le meurtrier. Finir son film ainsi relève du génie pur et dur. Y a pas à chier, le cinéma a offert ce qu'il pouvait de plus beau pendant deux heures, et conclut avec encore plus fort.
A fuckin' Masterpiece ! (© Babaorum)
PS : Je réécris même ma dédicace à Wobot qui m'aura fais découvrir ce film. Donc un grand merci, les belges, en plus d'être des gens sympas et de faire de la bonne bière, ont bons goûts !