Amour et Amnésie !
Eh ben, voilà, Michel Franco fait son entrée, par l'intermédiaire de ce film, dans ma cinéphilie et vient rejoindre ma liste de cinéastes à creuser absolument. Généralement, je n'y mets uniquement...
Par
le 29 mai 2024
42 j'aime
Mélo relativement convenu sur le papier, le nouveau film de Michel Franco joue avec plusieurs attendus du genre. Dans cette intrigue relatant la rencontre entre deux âmes fêlées, à savoir un homme atteint de démence, victime de nombreuses amnésies, et d’une femme qui fait tout pour oublier un passé traumatique, les ingrédients sont évidemment un peu trop parfaits pour concocter le parfait cocktail pathos/épreuves/résilience.
Le film souffre d’ailleurs par instant de quelques faiblesses d’écriture, notamment dans la manière dont on évolue d’un stade à un autre : le changement des relations entre les protagonistes, le temps des révélations et le revirement de certains seconds rôles peuvent sembler abrupts au vu de la complexité dépeinte jusqu’alors. La manière de marier deux destinées contrariées, toujours en lutte contre leurs proches (une mère opaque, un frère geôlier) vire aussi un peu au schématisme, opposant systématiquement un élément perturbateur à leur possible évolution.
Mais la réussite du film tient précisément dans sa manière de tenir à distance ces ressorts, voire de les subvertir un temps pour troubler les repères du spectateur. L’exposition, assez opaque, présente des comportements difficiles à cerner, le jeu des points de vue oscillant sans cesse entre la perception faussée des personnages et un surplomb qui reste volontairement à distance. C’est dans cette première moitié du film que Franco parvient à installer une atmosphère instable, où l’empathie pour les deux personnages se voit continuellement rongée par une forme de doute raisonnable sur leur capacité à saisir sainement la vérité. La fantastique incarnation de Jessica Chastain et Peter Sarsgaard travaille ces contradictions : la femme verrouille sa maison comme elle l’a fait avec tout son être, dans une protection excessive du monde, tandis que veulent s’échapper d’elle des torrents d’horreur refoulée ; l’homme, quant à lui, porte avec lui un inconnu qui l’empêche de se faire confiance, ne pouvant se fier à ses propres souvenirs. Le regard presque clinique sur ces prisonniers, tout en plans fixes et souvent généraux, place des silhouettes dans un environnement difficilement habitable, et joue habilement de l’attraction/répulsion pour les autres, qui peuvent autant accroitre la douleur qu’ébaucher des voies de sortie. Le rôle de la fille est à ce titre joliment écrit, et cette réversibilité alimente un trouble dont on ne peut jamais se défaire, au diapason de ces personnages ayant forgé tout leur tempérament dans la méfiance. Ainsi de cette très belle scène de sexe, où le désir se voit contrebalancé par la peur, l’amour par le besoin de courage, le réalisateur parvenant parfaitement à saisir le juste regard pour communiquer la fébrilité sur le fil de ses personnages. Une fragilité qui pourra rendre tolérant à l’égard de certaines maladresses d’écriture, et justifie un final suspendu dans lequel, à l’instar de ces apprentis de la sérénité, on ne peut pas encore entièrement croire dans un dénouement dénué de toute zone d’ombre.
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Rumeurs Cannes 2023
Créée
le 31 mai 2024
Critique lue 817 fois
30 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur Memory
Eh ben, voilà, Michel Franco fait son entrée, par l'intermédiaire de ce film, dans ma cinéphilie et vient rejoindre ma liste de cinéastes à creuser absolument. Généralement, je n'y mets uniquement...
Par
le 29 mai 2024
42 j'aime
Souvent teinté d'une forte connotation sociale, parfois brutal, le cinéma de Michel Franco éveille souvent la controverse. Volontairement clivant, féroce lorsqu'il aborde sans concession l'opposition...
Par
le 29 mai 2024
34 j'aime
8
Depuis 15 ans et son premier long-métrage, Daniel y Ana, tous les films du Mexicain Michel Franco sont marquants, dans des registres pourtant bien différents. Ainsi Memory, tourné à New York, n'a...
le 20 févr. 2024
32 j'aime
1
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
774 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
715 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
617 j'aime
53