Memory
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Memory

Film de Michel Franco (2023)

Souvent teinté d'une forte connotation sociale, parfois brutal, le cinéma de Michel Franco éveille souvent la controverse. Volontairement clivant, féroce lorsqu'il aborde sans concession l'opposition des classes dans le rugueux et désagréable "Nouvel ordre" le réalisateur mexicain semble dans la forme se situer à des années lumières des réalisateurs européens (Loach, Brizé, Leigh, Cantet) .


Pourtant, ces derniers ne renieraient probablement pas les premières minutes de "Memory", immersion d'abord dans une réunion d'alcooliques anonymes, puis dans le quotidien de Sylvia travailleuse sociale new-yorkaise, célibataire et seule chargée de l'éducation de sa fille de 13 ans. Le New-York représenté par Franco n'est pas celui représenté habituellement au cinéma, c'est un New-York à la marge, de quartiers faits de bric et de broc, le communautarisme n'y est pas si marqué qu'à l'habitude et même si la représentation exhibe des êtres aux multiples fêlures, elle semble réserver une place certaine à la solidarité entre les êtres, Jessica, mais également sa sœur apparaissant comme des figures emblématiques d'une Amérique qui assumerait enfin sa fracture sociale.


Comme à l'habitude chez le cinéaste la réalisation est dépouillée , la caméra à hauteur d'hommes et surtout de femmes, l'absence de profondeur de champ et d'inclinaison des angles de vues donnent une impression étrange de réalisation à plat, installe une distance propice à une observation sociologique froide des personnages et des lieux. En une petite dizaine de minutes, le cadre est posé avec brio et c'est avec la même retenue que le récit permettra d'appréhender les personnages d'abord avec distance, voire incompréhension lorsqu'au sortir d'une soirée, Saül décide sans que nous n'en comprenions la raison de suivre Sylvia, jusque dans les couloirs du métro New-Yorkais puis de s'endormir dans la rue en bas de chez elle, sans se souvenir du moindre détail à son réveil.


D'abord terrorisée Sylvia découvre au petit matin que Saül est atteint de démence précoce qui se manifeste par la perte de mémoire des évènements récents, puis noue avec lui une étrange relation, une longue scène de dialogue étonnamment filmée à plat également incluant les deux personnages dans un même plan sur un banc révélera les blessures de la mère de famille


ses traumatismes d'enfance, lui laissant imaginer un temps et par erreur que Saül faisait partie de ceux qui avaient abusé d'elle alors qu'elle avait douze ans

"Memory" dès lors emprunte un tout autre chemin, celui de l'attachement nécessaire à la reconstruction, de la complicité entre deux écorchés, qui mutuellement entreprennent de se reconstruire, d'échapper à ces peurs qui les hantent, de se défaire de leurs souvenirs de leurs oublis. Les deux personnages sont magnifiques, les acteurs Jessica Chastain, Peter Sarsgaard, et les rôles plus secondaires, tous jouent leur partition à merveille, et Franco resserre encore son emprise sur son spectateur pris dans la tourmente des sentiments, des révélations terribles, d'une dramaturgie qui se joue sur un mode majeur, la bienveillance des uns (des unes surtout) contrebalançant toujours la médiocrité des autres.


Ce "Memory" est certes un film âpre, déplaisant même parfois, mais il donne à voir la beauté des êtres et en cela il est essentiel.


Yoshii
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le 29 mai 2024

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