Menus-Plaisirs Les Troisgros est l’un des grands films les plus acclamés de Frederick Wiseman, illustrant parfaitement sa maîtrise en tant que poète des micro-textures qui reflètent le macro de l’infrastructure sociale. Dans ce documentaire somptueusement produit, Wiseman et son directeur de la photographie, James Bishop, trouvent un bon spot pour observer deux, trois, ou même plusieurs personnes en pleine activité, se contentant de laisser ces scènes se dérouler et de simplement regarder ce qui se passe.
Chaque moment observé est suffisamment riche pour ressembler à un court métrage en soi : parfois explicatif, d’autres fois subtilement drôle ou empathique. Il y a sans aucun doute un génie individuel dans les cuisines des Troisgros, mais également un effort collaboratif énorme, faisant du documentaire une belle métaphore du processus même de réalisation cinématographique. Comme le dit Michel, visiblement ému, “Tout est beau” dans son domaine ; la même beauté s’applique à ce film profondément agréable.
Minute par minute, Menus-Plaisirs Les Troisgros est un portrait errant, curieux et élégamment expansif d’un établissement dont les nombreux éléments constitutifs et tangents — fermes et marchés, cuisines et salles à manger, chefs et sous-chefs, serveurs et clients — fonctionnent ensemble dans une sorte d’harmonie bourdonnante et animée au quotidien. Qualifier ce film d’« immersif » serait un euphémisme. Les esthétiques de la narration visuelle de Wiseman sont rarement aussi proéminentes ou importantes que dans Menus-Plaisirs.
Bien sûr, créer des plats qui semblent sans effort nécessite un travail énorme. Menus-Plaisirs – Les Troisgros est un film sur cet effort ; sur les heures, les jours, les mois et les années de sueur, de réflexion, de choix et de pratique nécessaires pour produire quelque chose de valable — une grande nourriture, certes, mais en réalité toute œuvre d’art. Malgré son rythme détendu, Trenque Lauquen exige une implication active du spectateur avec son action — une demande qui est intrinsèquement en phase avec sa représentation de la création à travers le dialogue.
Pour toutes les façons dont une expérience de quatre heures peut sembler intimidante, chaque facette du film est nécessaire pour comprendre ce monde et les personnes qui l’habitent. Si vous adorez le "food porn", ce film satisfera votre appétit pour des visions de la cuisine française tout en offrant une profonde compréhension de la préparation de ces mets. Dans Menus-Plaisirs Les Troisgros, Wiseman nous montre comment la saucisse est faite de manière étonnamment littérale, ainsi qu'une multitude d'autres délices culinaires.
Menus-Plaisirs n’est pas parmi ses chefs-d’œuvre, mais c’est une belle addition tardive au canon de Wiseman — même dans un paysage médiatique si saturé d’émissions culinaires et de chefs célèbres, le réalisateur a créé un film qui semble à la fois frais et artistiquement stimulant, incontestablement à sa manière. Son focus caractéristique sur la tension entre le travail tactile et les crises abstraites — entre l’entretien quotidien et la survie spirituelle — est présent dès les premiers instants, tout comme son refus caractéristique de définir artificiellement les contours de cette tension.
Le film est à la fois un rêve pour les amateurs de cuisine et un guide pour les chefs en herbe, dévoilant l’alchimie sophistiquée qui fait que de tels établissements fonctionnent non seulement parfaitement, mais servent également des plats révolutionnaires tout en étant localement sourcés. Avec une durée de quatre heures, Menus-Plaisirs – Les Troisgros est un marathon, même selon les standards détendus de Wiseman. Mais c’est un film captivant, une forêt pleine de sentiers où les spectateurs peuvent se perdre.
Pour Wiseman, les “petits plaisirs” du titre sont des distillations hautement concentrées d’efforts puissants, de la grande et soigneusement cataloguée tradition de la cuisine française à la tradition immédiate des restaurants de la famille Troisgros (maintenant en sa quatrième génération). Les excursions dans une fromagerie, une cave à vin (bien sûr), et une ferme bovine, dont les méthodes de pâturage sont planifiées avec une précision mathématique, mettent en lumière le soin et la passion qui sont infusés dans chaque bouchée déposée sur l’assiette avec les plus petits pincettes. Menus-Plaisirs est une exploration fascinante de cette passion, et peut-être la plus proche que beaucoup d’entre nous puissent avoir de l’expérimenter.
L’approche de Wiseman consiste à vous plonger aveuglément au milieu du milieu des Troisgros et à laisser les détails émerger scène par scène, plan par plan, comme si vous regardiez une photographie se clarifiant en couleurs sur plusieurs heures. En somme, Menus-Plaisirs Les Troisgros est une œuvre d’une beauté exquise, superbement agencée et riche en textures, offrant une méditation profonde sur le travail collaboratif et la création artistique. C’est un film qui, malgré sa longueur, demeure provocateur et satisfaisamment énigmatique, et bien qu’il puisse sembler être un MacGuffin de quatre heures, il reste un exercice accompli, littéraire et autoréférentiel dans le report narratif.
En conclusion, Menus-Plaisirs Les Troisgros est une œuvre de grande humanité et loin d’être une simple papeterie européenne sophistiquée. Mais la brillance extérieure de sa réalisation subvertit parfois son fonctionnement interne, comme si sa fabrication et son sens n’étaient pas tout à fait en parfaite harmonie. C’est un film qui incarne parfaitement la tension entre l’effort quotidien et les crises abstraites, tout en célébrant la beauté des petites choses qui composent un grand tout.