Mercenaire est un film important.
Pas en France. Pas non plus au regard de l’histoire du cinéma. La mise en scène est classique, pour ne pas dire essoufflée lors des scènes de rugby, et l’histoire est l’énième récit initiatique d’un jeune homme à l’orée de l’âge adulte.
Il est important pour Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie, où une partie du film a été tourné.
Ce film est donc important pour moi, tout comme L'Ordre et la Morale l’a été, car j’habite en Nouvelle-Calédonie.
Ce n’est pas pour rien qu’avec un seul cinéma, la Calédonie a réalisé plus d’entrées que Paris, avec un bassin de population de 300000 personnes contre 2,244 millions. L’important n’est d’ailleurs pas seulement sur l’écran, mais aussi dans la salle. Combien de Calédoniens, et plus particulièrement de Wallisiens, se sont reconnus dans le destin de Soane ? Durant la projection, j’ai vu une jeune femme prendre des photos du héros. J’entendais quatre vieilles wallisiennes acquiescer ou commenter les images (« Hé, mais il s’est fait dépuceler là »). L’histoire de Soane est celle de milliers de jeunes Calédoniens.
La grande force du film tient dans son respect du sujet. Même si nous ne sommes pas loin de la tragédie grecque, les situations et surtout les personnages sonnent juste. Même si j’ai eu parfois pitié du spectateur métropolitain qui n’a pas pu tout comprendre (notamment la cérémonie du kava, qui avait valu des moqueries – injustifiées car ignares – à François Hollande).
Le réalisme se joue aussi dans les détails : la correction (appelée ici l’astiquage) avec un câble électrique, les chaussures troquées contre des claquettes une fois le travail terminé, la tête baissée de Soane les cérémonies… Combien de fois aussi des Calédoniens partis en France m’ont raconté le même dialogue que celui du film.
- T’es un All-Blacks ?
- Non, je suis Wallisien.
- Tu parles bien français.
- Wallis, c’est la France.
Ce réalisme est le résultat du passé de documentariste du réalisateur. Sacha Wolff s’est servi des techniques d’immersion du documentariste, passant, au fil des années, plusieurs mois en Calédonie, parmi la communauté wallisienne, avant le tournage, en 2015.
« Avec les acteurs, j’ai développé la même relation de confiance que le documentariste avec son sujet. Je leur ai demandé d’aller chercher en eux des choses qu’on n’a pas l’habitude de mettre en avant. » (Sacha Wolff, dans le journal local Les Nouvelles calédoniennes)
La très grande majorité des acteurs n’ont d’ailleurs jamais joué. Sacha Wolff a encouragé ses comédiens à « aller chercher des zones violentes ou sensibles », à opérer « une vraie mise en danger ». Toki Pilioko, jeune pilier semi-professionnel au centre de formation d’Aurillac, est impressionnant. Il a une véritable présence à l’écran. J’ai eu l’occasion de le croiser et il est d’une grande simplicité et d’une grande gentillesse.
Au-delà du caractère culturel du récit, le film aborde une facette du rugby méconnue. Même si le cas de Soane est exagéré, beaucoup de jeunes d’outre-mer ont vu leur rêve de carrière sportive se briser en France. Concernant le rugby, la FFR étudie d’ailleurs la possibilité d’implanter un pôle espoir en Calédonie pour arrêter le massacre. Je me suis plongé dans les archives du journal local et le constat est sidérant.
« Il y avait urgence à agir. De plus en plus de joueurs quittent la Calédonie bien avant leurs 18 ans avec la promesse d’une future carrière professionnelle dans l’élite. La réalité, c’est que le club recruteur ne s’est pas soucié de savoir si la jeune recrue avait un plan B en cas d’échec sportif, ce qui se produit hélas dans la plupart des cas. Sans suivi sérieux, sans avoir été préparé à cette expatriation, sans alternative universitaire ou professionnelle, le joueur est rapidement livré à lui-même. » (citation des cadres de la fédération française de rugby, Bernard Falques, Didier Retière et Jean-Claude Peyrin)
Même constat fait en 2013 par Pierre Camou, alors président de la fédération française de rugby.
« On prend un joueur, parfois dès 15 ans, on l'envoie à l'autre bout du monde sans se préoccuper de le couper de sa culture, sans le moindre encadrement sur place, et, le cas échéant, on le jette quand on n'a plus besoin de lui, c'est-à-dire quand il ne donne pas ou plus satisfaction… » (Pierre Camou)
Mercenaire se veut universel, mais il est important car il sert d’avertissement à ces jeunes qui rêvent d’Amérique en Métropole.
Il est important car il a un impact, même cela se réduit à quelques îles du Pacifique.