Il y a des films, comme ce Mère et fils, qui vous happe dès le premier plan, et ne vous relâche qu'à la tombée du générique final. Sachant que je ne connais pas le cinéma de Sokourov, et que je ne suis pas du tout un fin connaisseur du cinéma russe, je me suis naturellement demandé pourquoi. Après réflexion, j'ai trouvé quelques éléments de réponses.


Tout d'abord, le plus évident, Mère et Fils ne ressemble à rien de ce que j'ai pu voir avant. Alors oui, je pourrais rattacher la mise en scène à Tarkovski sur certains points : il me semble évident que Sokourov a lut le temps scellé et s'est imprégné de sa sagesse. Le film est composé presque uniquement de plans séquences, et chacun de ces plans sculpte le temps de manière très fine, par des jeux de formes, de mouvement (à l'intérieur du cadre et mouvements de caméra, comme les travellings qui démarrent parfois après de longs plans fixes), et tout un tas d'autres paramètres que je serais incapable de déceler. Le temps s'exprime donc dans le film par l'économie du montage. Et ce qui est sûr, c'est qu'il y a un temps subjectif vécu dans Mère et fils, qui n'a rien à voir avec les 1h10 qu'il dure. Ce qui le rapproche des écrits de Tarkovski est aussi une volonté de s'écarter de tout symbolisme, mais j'y reviendrai un peu plus loin.


Les possibilités qu'il laisse entrevoir sur les retouches d'un plan en fait aussi un film unique. Je n'aime pas faire la comparaison entre la peinture et le cinéma, mais force est de constater de Sokourov pense ici le plan comme une toile en mouvement. Il parsème son cadre de touches de couleur, de nuances de texture, de jeux sur les perspectives grâce à la focale et à la déformation etc... On ne sait pas vraiment, certaines fois, si tel ou tel plan est composé de plusieurs prises superposées par le montage, tant il crée parfois un espace totalement invraisemblable. Il ne reste pas grand chose de ce qui se trouvait face à la caméra au moment du tournage : tout passe par la subjectivité de Sokourov, tout ou presque est modifié par lui, d'où ma comparaison avec la toile d'un peintre. Si on veut pousser cette comparaison, l'équivalent de la toile blanche serait ici ce qu'il y a face à la caméra, où Sokourov peint par les modifications de son cadre. Par exemple, un simple plan où le fils enlace sa mère, devient une vraie œuvre picturale : au second plan, l'écorce d'un arbre envahit le cadre et crée un fond abstrait. Il en va de même du traitement des couleurs, qui change d'un endroit du plan à l'autre, tout en gardant une cohérence totale du cadre ! Ce qui veut dire, en soi, que l'impression de réalité propre au cinéma est toujours présente, malgré toutes les modifications.


Ce qui m'amène au fait que Sokourov crée un univers cohérent autour de ces deux personnages, déconnecté de notre réalité sensible. C'est comme si l'intériorité des personnages était extériorisé dans leur environnement (l'exemple le plus flagrant étant l'arrivée de l'orage quand la mère devient souffrante). C'est pour ça qu'une mélancolie constante règne, et que l'atmosphère brumeuse fait déjà penser à un lieu entre le monde des vivants et des morts (idée renforcé par la dernière phrase du film, d'ailleurs Mère et fils me semble faire preuve d'une idéologie chrétienne assumée, sans jamais qu'elle soit plombante). C'est un univers clos sur lui-même, où les deux seules personnes semblent être cette mère et son fils (à noter qu'à un moment, on voit une silhouette étrange passer en arrière plan : ce sera le seul être vivant présent en dehors des deux protagonistes). Il y a en revanche deux choses qui amènent quelque chose d'extérieur à l'univers : le train à vapeur et le bateau. Ces deux moyens de locomotion arrivent sans raison apparente, et semblent rappeler au fils que le seul moyen de s'échapper de ce vase clos serait de prendre l'un d'eux. Mais ses fortes obligations envers sa mère semblent le ramener à la raison, lui arrachant des sanglots.


Enfin, ce qui est étonnant, dans Mère et fils, c'est cette simplification à l'extrême de l'histoire, qui pourrait se résumer en une phrase : un fils transporte sa mère malade. Loin d'être un défaut, c'est cette simplicité même qui permet de décupler la puissance émotionnelle du film. Sans beaucoup de dialogues, par les gestes et les comportements des protagonistes, nous comprenons les enjeux et la complexité du lien qui lie les deux personnages. Et évidemment, l'universalité de ce lien parental peut faire écho en chacun de nous. Attention, ici je vais très légèrement spoiler. L'issue, nous la connaissons finalement dès le début du film. Comme je le disais plus haut, Sokourov évite tout symbolisme qui pourrait alourdir le lien entre la mère et son fils, il n'intellectualise pas, mais est dans le pure ressentiment. Le seul acte symbolique me semble être le papillon final, rappelant l'âme séparée de son enveloppe charnelle (un symbolisme chrétien, encore une fois). Ce papillon, les rides sur la main de la vieille femme et les sanglots du fils (dont le cou est déformé dans le cadre et semble se tordre de douleur) suffit à nous faire prendre conscience de manière effroyable de notre condition mortelle. Avec une économie narrative et sans aucune exagération de mise en scène, la séquence n'en est que plus éprouvante. L'épure de l'histoire mène à l'essence même de ce que cherche à montrer Sokourov.
Mère et fils est donc une petite perle qui saura probablement résonner en chacun, et je ne saurais que trop en conseiller le visionnage.

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le 6 août 2017

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