La belle pastorale d'Honoré
C'est sans doute le film français le plus audacieux de l'année. Si le virage n'est pas véritablement radical dans la filmographie d'Honoré, on ne peut que saluer cette échappée belle [exit la ville, retour à la nature] venant assoir définitivement la légitimité du cinéaste.
Adapter Les métamorphoses d'Ovide semblait un projet fou. Ou pédant. Qui a lu les poèmes d'Ovide ? Qui sait de quoi il s'agit ? Pourquoi Honoré, cinéaste estampillé neo Nouvelle Vague, parisianisé et boboifié à outrance [sans qu'il n'y soit pas pour rien], serait-il capable de vulgariser un texte si sanctifié ? Pour en faire quoi ? Pour séduire qui ?
Si sa volonté était de donner aux spectateurs l'envie de lire Ovide, c'est réussi. Le résultat est là. Son film a quelque-chose à voir avec la magie [comme la mythologie], mais aussi avec l'éternité. Brouillant les repères spatio-temporels, inscrivant son récit dans une nature magnifiée, sublimant les corps des hommes et des animaux, il met en scène une poésie pastorale aussi pure qu'enivrante.
Pourtant Métamorphoses n'est pas parfait. Si le prologue est superbe, on s'inquiète dès qu'Europe rencontre Jupiter, ou plutôt dès qu'ils échangent quelques mots. La diction est fausse, le jeu approximatif. Il en sera ainsi durant tout le film, certains jeunes comédiens s'avérant bien plus doués que d'autres.
Métamorphoses n'est pas parfait mais on s'en moque, d'autant qu'Honoré prend le parti de montrer plutôt que dire. Il y a donc peu de dialogues mais beaucoup de musique [Mozart, Ravel, Schoënberg, Boulez, Baxter Dury...], et puis des rivières, des lacs, de grandes étendues d'herbes, une nature luxuriante et au milieu d'elle des corps souvent nus. Honoré sait les filmer, c'est ici une évidence.
Ce mariage nature/nudité n'est pas sans rappeler L'inconnu du lac. Comme dans le film de Guiraudie, la mise en scène est à la fois simple et brillante. De ce naturalisme sophistiqué [le vent, le soleil, l'eau, la terre] naît un lyrisme puissant mais doux, lénifiant, profond. Un corps nu est aussi beau qu'un arbre [photographier un sexe ou une fleur c'est la même chose, disait Mapplethorpe], les corps nus de Métamorphoses sont beaux, tout comme les ajoncs, les paons, les profondeurs de l'eau...
On revisite les mythes, les histoires s'inscrivant les unes dans les autres au fil d'une trame précise et fluide. On est happé, promené, passionné. On retiendra Atalante et Hippomène transformés en lionne et lion pour avoir froissé Venus, la candeur de Narcisse, le désarroi d'Hermaphrodite, la puissance de Pan, l'énergie de Bacchus, la beauté d'Europe.
Film moderne d'un autre temps [on pense à Pasolini ou à Jodorowsky], singulier à plus d'un titre, incroyablement apaisant, beau, très beau, Métamorphoses surprend et fascine, sans doute le meilleur film d'Honoré à ce jour.