Épousant le rythme des roues d’un cycliste lancé à toute berzingue, sur un rap 90’s à fond, le premier plan donne immédiatement l’ambiance de ce premier long de Mathieu Kassovitz, alors jeune cinéaste plein de fougue bien décidé à foutre un gros coup de latte dans les valseuses d’un cinéma français trop ronronnant à ses yeux, ne s’adressant pas aux jeunes, enfermé dans ses tropes d’un autre âge. Celui que l’on connait comme grande gueule gueulant sur tout aujourd’hui, était à cette époque ce jeune homme déjà hargneux mais ayant à cœur de se mettre le public dans la poche et de montrer ce qu’il avait dans les tripes. Et pourtant, ce premier film parait de premier abord assez éloigné de ses préoccupations futures, comédie de mœurs légère et s’appropriant même avec une certaine malice certains codes bien de chez nous, pour les mettre en quelque sorte au goût du jour.
2 garçons, 1 fille, et quelques possibilités pourrait être le sous titre de ce film dont le postulat repose sur un triangle amoureux dont vont devoir s’accommoder les deux garçons campés par Kassovitz lui-même et Hubert Koundé. Leur dulcinée commune est enceinte, elle ne sait pas qui est le père, et elle est amoureuse des deux. Ce sera à eux de se faire à la situation, et de se tolérer l’un l’autre, en dépit du manque d’osmose dans un premier temps. Un thème un peu bateau, propice à tous les traitements possibles, ce dont Kasso avait sans doute pleinement conscience, jouant sur ce postulat en évitant soigneusement les pièges du film auteuriste, à travers une mise en scène carburant à l’énergie et aux idées de montage ou de cadrages. Nous ne sommes pas encore dans la stylisation d’un La haine, mais on aperçoit déjà l’envie débordante de cinéma et de sortir des carcans dans lesquels trop de cinéastes s’enfermaient encore à l’époque.
A l’aide d’un casting jeune et sympathique, entre Kasso lui-même en petite teigne gouailleuse, Hubert Koundé et son élégance de langage, et le charme de Julie Mauduech et son sourire irradiant, nous sommes prêts d’emblée à suivre cette petite troupe jusqu’au bout de leur histoire faussement anodine, mais vectrice de beaucoup d’émotions. Car au-delà de la drôlerie des dialogues et situations cocasses, le film parle déjà d’un certain malaise de la société française, que ce soit à travers une scène d’altercation avec des flics peu subtils, ou dans cette idée de métissage résonnant particulièrement sur la fin du film, éléments permettant déjà d’apercevoir le Kassovitz hargneux et engagé qui explosera par la suite, avec son film culte suivant bien entendu, mais également avec Assassin(s) ou son dernier film en date, L’ordre et la morale. Une certaine façon de se confronter, ici avec douceur et malice, à un état d’esprit un peu rance qui a toujours été présent et pourrait ressurgir à chaque instant.
Mais pas de violence ou de nihilisme ici, seulement (et c’est déjà beaucoup), une petite chronique faussement simple, vraiment ravissante, qui promettait déjà beaucoup pour l’avenir de ce metteur en scène qui en voulait mais s’est malheureusement depuis enfermé dans son statut d’empêcheur de tourner en rond, qui à force de contradictions de toutes sortes, aura fini par rendre sa parole inaudible.