Hack to the future
À l’origine du futur se situe Metropolis : œuvre monstre, qui embrasse avec démesure la potentialité du cinéma, encore dans son âge muet, et qui, après les fresques monumentales de Griffith sur le...
le 28 févr. 2019
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Ce film est incontestablement une révolution pour le cinéma et la science-fiction. Par ses décors monumentaux, sa BO tonitruante, son ingénieuse représentation spatiale de la hiérarchie sociale, son montage et ses effets spéciaux exceptionnels pour l'époque, son design futuriste du robot (qui ressemble beaucoup à C3PO…), son illustration glaçante d'une dystopie totalitaire déshumanisante, son anticipation terriblement réaliste du fascisme des années 30 etc… Tout cela est fort appréciable et chacun de ces éléments est un argument suffisant pour visionner le film, si l'intérêt historique n'était pas déjà suffisant.
Mais au-delà de cette révolution artistique, j'aimerai revenir sur le fort conservatisme dont l'œuvre est imprégnée. Car de tous les défauts de ce film (raccourcis scénaristiques, jeu d'acteur lassant, longueurs), le pire réside en sa dimension politique. Car Metropolis est indéniablement un film politique, revendiqué comme tel. Alors quel message veut-il transmettre ? Tout est dans l'épigraphe : "The Mediator Between Head and Hands Must Be the Heart". Il est assurément bien trouvé car en plus d'être particulièrement emphatique, il résume à la perfection la morale finale. Voici donc ce qu'il faut comprendre :
1) La société est divisée en deux, la Tête (les capitalistes, les dirigeants, les élites, les riches) et les Mains (les prolétaires, le peuple, les pauvres).
2) Ces deux catégories s'excluent mutuellement, si bien que le peuple ne peut pas penser grâce à sa tête et les élites ne doivent pas travailler avec leurs mains.
3) Les deux catégories sont immuables et éternelles. Elles n'ont pas vocation à évoluer.
4) Cette dialectique ne peut être résolue que grâce à un "médiateur", qui est le cœur (comprendre : l'empathie, le respect, la considération, les bons sentiments).
L'histoire atteint son apogée lorsque les prolétaires, jusqu'ici dépeint comme des zombies déshumanisés et misérables, se révoltent enfin. Premier point remarquable : leur révolte n'est pas glorifiée, mais plutôt représentée comme mauvaise, néfaste. D'abord parce qu'elle s'exerce non pas contre les élites, mais contre les machines (à la manière des Luddites de 1811), menaçant directement la survie de la société tout entière, à commencer par les enfants des révoltés. Mais ces derniers n'en ont cure : ils deviennent des bêtes sauvages, grégaires et incontrôlable. Ensuite Fritz Lang prend soin de souligner que cette révolte est le projet du robot (Machine-man) animé par le savant fou, et nait contre la volonté de l'héroïne secondaire du film, Maria, qui prône la paix, l'attente du "Messie", et la sagesse.
La résolution de cette violente opposition du peuple opprimée contre la société industrielle se résout d'une manière complètement absurde : une poignée de main entre le contremaître hésitant et l'aristocrate dirigeant Metropolis, permise grâce à l'entremise du fils de ce dernier. Voilà la morale : la lutte des classes doit se résoudre par une paix mutuelle, un respect bilatéral, entre les dominants et les dominés. Non non, pas besoin de remettre en cause le système selon Fritz Lang. Juste de bons sentiments. Une poignée de main. Et chacun retourne à ses occupations, l'un sur sa machine à six pieds sous terre, l'autre dans son jardin d'Eden au sommet de la ville.
Sérieusement, comment a-t-on pu penser à l'époque que ce film était dénonciateur, voire "communiste" ?!
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Créée
le 28 juil. 2024
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