Tout le monde aime les acteurs comiques parce qu'ils nous font rire. Je vous renvoie aux classements des personnalités préféré des français plaçant régulièrement des Omar Sy, Jean Dujardin, ou même De Funès en tête. Mais ces acteurs ne sont jamais tant admiré que lorsqu'ils nous font pleurer. Les exemples sont nombreux, citons de nouveaux Dujardin dans The Artist, Jim Carey dans Eternal Sunshine of Spotless Mind, ou le discours de Chaplin dans Le Dictateur qui n'a jamais été aussi sérieux. On pourrait l'affirmer aussi pour Fernandel, mais j'ai l'impression (peut être à tort) que ces rôles dramatiques sont occultés par ses prestations dans les films de Pagnol ou dans la saga nanardesque de Don Camillo.
Pourtant Fernandel a souvent prouvé qu'il excelle dans tous les registres, et c'est le cas dans Meurtre? dans lequel il joue un mari ayant mis fin aux souffrances de sa femme atteinte d'un cancer en phase terminale. Le premier quart d'heure mise à fond sur le mélo larmoyant. La femme agonisante implore pendant de nombreux jours le bon Noël Annequin d'accéder à ses dernières volontés, invoquant leur amour et leur serment de fidélité. La mort dans l'âme, Noël finit par satisfaire le désir de son épouse.
A partir de là le récit change radicalement, passant du mélo au discours contestataire. Noël, homme simple à la morale irréprochable, pense se rendre aux autoritéx, qui ne doute pas une seconde que la malade à été vaincu par son cancer. Les frères de Noël, l'un avocat, l'autre chirurgien, l'en empêche. Ceux-ci n'apprécie guère leur frère qui est de leur sang mais pas de leur caste. Alors quand ce frère menace de les éclabousser par un scandale c'est la goutte de trop. Ils prétendent lui venir en aide dans sa détresse psychologique qui lui ferait prendre de mauvaise décision, en réalité ils s'aident eux-mêmes.
Le propos est très intéressant, il oppose l'hypocrisie de la bourgeoisie urbaine dévorée par l'ambition, à la simplicité du paysan vivant d'un peu de pain et de beaucoup de vertu. L'image est assez grossière, il existe beaucoup de paysan démesurément ambitieux et inversement. Mais ce film reflète une certaine aversion pour les classes dirigeantes, considérées comme responsable de l'humiliation de 1940, qui grandira dans les années 1950-60, et atteindra son paroxysme en 1968.
Ce film pose aussi la question de la normalité, ou comment un homme vertueux peut être considéré comme anormal, voir comme un paria, dans un milieu (une famille) à la moralité flexible. Cette idée est pleinement traité lorsque les deux frères réussissent à faire interner Noël dans un hôpital psychiatrique, car il serait devenu irrationnel depuis la mort de sa femme. Qui est fou et qui ne l'est pas, une question souvent traitée au cinéma, et encore ici de bien belle manière.
Prise de position pour l'euthanasie, brûlot contre les classes dirigeantes, Meurtre? est un film très engagé et une curiosité dans la filmographie pléthorique de Fernandel, qui campe ici un de ses meilleurs rôles. Autant de raison de découvrir ce film tombé dans l'oubli.