Un rendez-vous manqué : c’est vraiment le sentiment ressenti à l’issue de la projection. Et de ne savoir comment rédiger cette critique, qui devrait plus évoquer la posture du spectateur que la qualité intrinsèque du film.
Mia Madre, qui rend dingue la sainte trinité Cahiers/Positif/Télérama (ceci précisé sans sarcasme, dans la mesure où je lis régulièrement ces trois revues) serait l’un des rares bons films de la dernière sélection cannoise qui fit grand bruit par sa déception, au premier rang de laquelle on classera sa très contestable palme d’or.
On le sait, Moretti parle avant tout de lui, à l’exception notable du réussi Habemus Papam, sur le tournage duquel il perdit donc sa mère, inspiration de ce nouvel opus, déplacé sur une protagoniste féminine. C’est donc l’occasion d’une exploration du monde cinématographique, des tournages et de ses aléas, des exigences un peu farfelues de la réalisatrice et des caprices de la star américaine campée par un John Turturro certes assez truculent, et dont les apparitions résonnent comme des respirations par rapport au contexte familial. En contrepoint de cette agitation, la décrépitude de la mère, l’heure des bilans, le déni de la mort imminente à dépasser, une vie amoureuse chaotique et une nouvelle génération à gérer.
Tout ce petit monde est en tout point convaincant, le film enchaine les pastilles plutôt justes, et joue des contrastes entre la seule réalité inéluctable, celle de la mort, et l’agitation pourtant salvatrice des vivants, aussi actifs dans leurs illusions devant la caméra que dans leurs rêves. La structure procède ainsi par dissonances, grâce à des flashbacks, des séquences fantasmées ou oniriques qui nimbent la linéarité quotidienne d’une atmosphère inquiétante et intime, rivée aux dérives mélancoliques de cette femme qui doit tour à tour être mère, être femme, être fille et diriger toute une équipe.
Spleen et tendresse, pathos sans emphase, telle semble être la ligne directrice de Moretti. De ce point de vue, tout fonctionne.
Comment expliquer, dès lors, l’ennui discret qui guette, le sentiment de voir s’égrener de façon un peu artificielle toute cette galerie sans que ne pointe l’émotion vive pourtant si vivement convoitée ? Moretti a beau exploiter l’une des musiques les plus poignantes au monde, celle d’Arvo Pärt et de son chef d’œuvre Fratres, il n’atteint pas le sommet ambitionné.
C’est à se demander si le sujet me dérangerait personnellement au point de me fermer face à lui. Mais l’émotion ressentie face à La Chambre du Fils (et son recours au splendide titre de Brian Eno, By this River) vient contredire cette hypothèse, tout comme celle générée par Amour d’Haneke sur un sujet similaire.
La réalisatrice demande souvent à ses comédiens de jouer « à côté » de laisser paraitre l’acteur en même temps que son personnage, formule sibylline qu’elle-même reconnait ne pas comprendre au bout d’un moment. C’est un assez bon résumé de la position occupée en tant que spectateur face à ce film aux qualités indéniables, mais dont les qualités d’empathie restent pour lui fragiles.
(5.5/10)