Puisque personne ne l'a fait avant moi, il va me falloir endosser le rôle de la méchante rabat-joie qui, ayant vu le film au Cinexpérience huitième du nom, ne l'a pas aimé. J'en ai discuté avec mes chers camarades, tous sont plus ou moins tombés d'accord avec moi, mais personne n'a, visiblement, écrit dessus.
A aucun moment, pendant la projection, je n'ai été emballée par le film ; sur la fin, je me suis même ennuyée. On me dira : il est bien normal qu'il n'y ait aucun suspense, puisque l'on devine très rapidement que la mère va mourir, puisque c'est un film sur le deuil, sur la souffrance personnelle, sur les liens familiaux. Oui ; mais... Pour moi, Mia Madre est un film très égoïste : il ne fait que décrire une souffrance, sans apporter véritablement d'éléments de réflexion dessus. On assiste au processus de l'agonie, de la chute, et la relation mère-fille qui se dessine n'est pas inintéressante, mais ça reste très plat, très linéaire. Mon sentiment n'en a été que renforcé quand j'ai appris que Moretti avait vécu cette expérience : il s'agit d'un film autofictionnel, pour ne pas dire autobiographique. Première remarque : les gens qui ont dit avoir aimé le film ont tous dit "j'ai vécu la même chose, cela m'a touché". Faut-il qu'un film vous touche pour qu'il soit bon ? Le processus d'identification est-il un critère de qualité ? N'est-ce pas un peu léger ? Moi aussi j'ai vécu ça, même si je n'ai pas encore eu le malheur de voir décéder des parents vraiment proches, mais cela ne rend pas cette description plus passionnante - d'ailleurs, je pense que cela me plomberait encore plus que ça ne l'a déjà fait, plus qu'autre chose. Parce que oui, le film est plombant. Je n'ai pas vu beaucoup d'espoir dedans, et je suis ressortie en me disant que notre éphémérité consubstantielle me donnait envie de crever tout de suite. Mais passons. Deuxième remarque : je ne vous cacherai pas que j'ai un problème avec l'autofiction, et que je trouve cela vraiment léger, d'autant plus ici que c'est précisément une situation universelle qui est mise en scène. Alors, en toute honnêteté : osera-t-on me dire que ça n'a jamais été fait au cinéma ? Que le sujet est nouveau ? Je n'ai vu aucun élément se dégageant ; c'est bien joué, bien filmé, bien mis en musique, mais c'est vu et revu. Une quarantenaire en crise qui se retrouve face à ses problèmes au travail, qui réalise qu'elle ne pense qu'à elle, et qui pense encore plus à elle en éprouvant la mort imminente de sa mère... Rien que de très commun. L'héroïne m'a laissée de glace, sa psychologie n'est pas assez exploitée. Dans l'ensemble, beaucoup de choses auraient pu être davantage exploitées dans ce film, comme la relation entre elle et l'acteur principal du film qu'elle tourne ; mais non, on reste en surface. On peut tout à fait légitimement considérer que l'effleurement est un choix défendable, aussi ce n'est pas mon reproche principal ; néanmoins, créer des personnages qui échappent au spectateur, pour faire un film sur un deuil intime, est une perspective déroutante... et gênante : la trame principale est l'intrigue avec la mère, au point que tout le reste est décrédibilisé.
La réalisatrice pète les plombs en faisant son film, et du même coup semble montrer que le deuil d'un être cher est bien plus important que la chute d'une entreprise, les licenciements, le manque de ressources d'une communauté face à une injustice capitaliste (etc) - ce qui est le sujet du film qu'elle tourne. La mise en abyme est intéressante, comme l'a souligné OVBC en intervenant après la projection ; pourtant, je ne crois pas que Moretti ait voulu mettre en PARALLELE la mort d'une entreprise et la mort de la mère. Je crois au contraire que Moretti, ce faisant, cherche à faire valoir la PRIMAUTE de la perte personnelle d'une mère sur des considérations politiques, économiques, collectives, qui mettent en jeu la survie matérielle des gens. La douleur intime de l'héroïne en deuil est la seule chose qui importe, car elle remet elle-même en question la pertinence de son propre film, qu'elle finit par considérer comme futile eu égard au drame de la mort d'un individu. C'est un autre point qui me fait dire que ce film est définitivement égoïste et individualiste. Je n'ai pas systématiquement de problème avec ça ; mais quand le film n'apporte rien de plus, n'est pas constructif mais seulement descriptif, oui, ça me gêne. Je ne pense pas que l'enjeu caché soit de montrer combien l'individualisme est destructeur dans la société, pour plusieurs raisons : 1) je répète que Moretti a mis en abyme son propre deuil avec ce film - 2) les considérations économiques, politiques, collectives ne sont considérées que par le prisme d'un film bancal, irritant, mal joué, manichéen, imaginé par l'héroïne, qui ne veut en faire qu'à sa tête au mépris des avis extérieurs. Ainsi, par exemple, l'héroïne exige des figurants d'ouvriers qui correspondent à SA réalité - ou plutôt à SON imagination. Il n'y a rien de sexy dans son film, et pas grand-chose de réaliste dans la caricature du patron surjouée (et avec force difficultés) par le fameux Barry. C'est un film de merde, ce sont des dialogues de merde, dit-il (citation approximative) : et oui, effectivement, c'est ce dont on a l'impression. Rien n'est fait pour défendre le projet de l'héroïne, et tout est fait pour faire disparaître ce qui l'entoure comme une futilité bien moins réelle que la mort d'une mère.
Donc non, Mia Madre n'est pas un film qui apporte une vision réaliste, essentielle et actuelle sur le monde ouvrier : au contraire, il déconstruit tout ce qu'il construit en recouvrant la mise en abyme filmesque du filtre du deuil personnel. Pour moi, le sujet du film tourné par l'héroïne n'est qu'un prétexte pour mettre en abyme la situation de deuil vécue par Moretti lui-même (trop de mises en abyme, j'espère n'être pas confuse) : tout est anecdotique en-dehors de la mort de la mère.
Anecdotique au point qu'on ne voit pas bien l'intérêt du film au-delà de l'exutoire personnel. Alors voilà, je gratifie tout de même de quatre points l'oeuvre d'un réalisateur qu'on m'a vendu comme un grand, et qui produit tout de même une oeuvre, je l'ai dit, bien faite... mais vaine, comme pour répondre l'absurdité de la mort elle-même.