Il y a deux réalisateurs, et en quelque sorte deux films dans Mia Madre.
Une histoire triste, celle de deux quinquas -Margherita (M. Buy), réalisatrice, et son frère, Giovannni (N. Moretti) - qui voient partir inexorablement vers la mort leur mère qu'ils chérissent.
Et parallèlement, un deuxième film, celui que Margherita tente difficilement de boucler.
Les deux histoires sont passionnantes mais celle qui m'a le plus bluffé c'est celle du film de Margherita. D'abord pour la performance étonnante de John Turturro qui réussit la gageure de parfaitement incarner une star très attendue jouant finalement très mal et se comportant comme un abruti... L'acteur américain - le "vrai" comme le "faux" - réussit au final à mettre tout le monde dans sa poche.
Ensuite, pour plusieurs scènes très inspirées où Moretti, par l'intermédiaire de son double - Margherita - interroge la "magie" du cinéma : comment filmer un dialogue en voiture ? Où mettre les caméra ? Que faire avec ces foutues doublures ? Que faire de tous ces conseillers : régisseurs, scripts, éclairagiste, ingénieurs du son... chacun spécialiste dans son domaine ?
Margherita - qui ce n'est pas anodin porte le même prénom que dans la vie réelle - , à la manière des acteurs auxquels elle demande de jouer "à côté" de leur rôle, semble elle-même à côté de son rôle de réalisatrice. Elle n'y est pas convaincante. On n'y croit pas. Certains reprochent précisément cela au film. Mais on peut aussi le prendre autrement et considérer qu'étant donné les circonstances, la Margherita-réalisatrice, anéantie par l'angoisse de mort qui l'étreint, est à côté de son rôle. Le tournage continue presque mécaniquement : le caméraman tourne, les acteurs jouent... mais la réalisatrice n'y est plus. Elle assiste comme un fantôme à la réalisation de son propre film épaulée par des techniciens qu'elle passe son temps à critiquer et par un acteur vedette qui joue comme un pied (extraordinaire scène de la cantine). Et tout sonne faux. Mais justement, quelle excellente direction d'acteur de la part de Moretti pour réussir à obtenir de Turturro qu'il joue faux pour de vraies raisons (il joue un mauvais acteur) et de Margherita Buy qu'elle joue faux pour les raisons de son deuil en cours. Margherita ne croit plus en son film et perd toute confiance en elle, son rôle se cantonnant aux formules magiques "Tournez/Coupez/Silencio.
A contrario, Barry (Turturro), mu par un égo surdimensionné, passe complétement à côté de scènes qu'il ne comprend pas (obstacle de la langue italienne, problématique sociale du film incompréhensible pour un Américain, mémoire défaillante congénitalement..). L'un comme l'autre donnent à leur façon une image absurde et vaine du cinéma.


Mais tout cela, c'est le film de Margherita dans le film de Moretti. Pour ce qui est de Mia Madre, tout y est juste. Les acteurs y sont magnifiques. Les scènes d'hôpital traitées avec sobriété mais émotion. Et la mise en scène parfaitement maitrisée. En témoignent le découpage/montage chronologique du film particulièrement complexe et certaines scènes de mise en abyme comme à la fin du film de Margherita lorsque Barry/Turturro, laissant tomber son masque de star se fait plus humain et entame une salsa improvisée avec sa costumière entourée de toute l'équipe du film. L'émotion surgit et embarque. Est-on alors encore dans le film de Margherita ? Ou dans celui de Moretti ? Ou juste entre les deux ? Ou bien ni l'un ni l'autre.


Scénario/histoire : 8/10
Personnages/interprétation :10/10
Mise en scène/réalisation : 10/10


9.5/10

Theloma
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Films : mon top 100, Les meilleurs films de 2015, Le cinéma dans le cinéma dans le cinéma...., Lost in translation ? et Mais regarde la route bordel !

Créée

le 11 déc. 2015

Critique lue 362 fois

8 j'aime

3 commentaires

Theloma

Écrit par

Critique lue 362 fois

8
3

D'autres avis sur Mia Madre

Mia Madre
Rawi
8

Comment te dire adieu ?

Bon ! Commençons par le début : ma ville question ciné c'est de la grosse daube et mes concitoyens sont en majorité des cons. La preuve en est que pas grand monde dans la salle pour voir ce film lors...

Par

le 14 juin 2015

44 j'aime

14

Mia Madre
Eggdoll
4

Un film aussi nombriliste que son héroïne ?

Puisque personne ne l'a fait avant moi, il va me falloir endosser le rôle de la méchante rabat-joie qui, ayant vu le film au Cinexpérience huitième du nom, ne l'a pas aimé. J'en ai discuté avec mes...

le 24 nov. 2015

27 j'aime

21

Mia Madre
takeshi29
9

Maman, à quoi tu penses ? A demain

Étant une grosse feignasse, je ne ponds plus beaucoup de critiques mais arrivé au terme de ces 107 minutes, je ne pouvais faire autrement que de vous dire pourquoi il est OBLIGATOIRE de voir ce "Mia...

le 20 déc. 2016

27 j'aime

4

Du même critique

Us
Theloma
7

L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...

le 21 mars 2019

108 j'aime

33

Ad Astra
Theloma
5

La gravité et la pesanteur

La quête du père qui s’est fait la malle est un thème classique de la littérature ou du cinéma. Clifford (Tommy Lee Jones) le père de Roy Mac Bride (Brad Pitt) n’a quant à lui pas lésiné sur la...

le 18 sept. 2019

97 j'aime

55

Life - Origine inconnue
Theloma
7

Martien go home

Les films de série B présentent bien souvent le défaut de n'être que de pâles copies de prestigieux ainés - Alien en l’occurrence - sans réussir à sortir du canevas original et à en réinventer...

le 21 avr. 2017

81 j'aime

17