Esthétique de la barrière
Michael Kohlhaas est un marchand de chevaux dans les Cévennes du XVIe siècle. Mais un nouveau baron impose de nouvelles règles : le chemin que Kohlhaas emploie habituellement est barré, et il faut payer un droit de passage. ne pouvant le payer, Kohlhaas laisse des chevaux et un serviteurs en gage. Quand il vient les récupérer, il s'aperçoit que les deux superbes animaux ont été maltraités (de même que le serviteur).
Commence alors un conflit qui se déroulera d'abord devant les tribunaux.
L'un des premiers plans du film montrent une barrière. Après des animaux en liberté dans la lande cévenole, l'arbre abattu qui sert de barrière met d'emblée une fin à cette liberté. Et cette barrière devient vite un des thèmes du film. Il représente la barrière sociale qui sépare le baron privilégié et le marchand victime. Et puisqu'elle est sociale, cette barrière est aussi économique et judiciaire. En créant des distinctions sociales, elle impose des injustices dont les uns sont les bénéficiaires et les autres les victimes.
Cette barrière se retrouve et se développe de nombreuses fois dans le film. C'est la porte du baron qui se ferme au nez de Kohlhaas quand il vient demander réparation. C'est la ridelle de la charrette qui emmène Kohlhaas en prison.
Mais la barrière, en définissant un espace réservé, permet aussi au privilégié de se cacher. Ainsi, on retrouve cette barrière au monastère où le baron se terre pour échapper à la furie (toute mesurée) de Kohlhaas.
Cette barrière se retrouve aussi dans le comportement moral. C'est cette barrière que franchit Kohlhaas en décidant de se révolter et de ne plus respecter les lois. C'est cela que lui reprochera le moine lors d'un discours qui constitue une des meilleures scènes du film. car les barrière matérielle sont humaines, mais la barrière morale est divine.
Le paysage lui-même se divise en deux. Il y a la lande, paysage de liberté, où les animaux peuvent courir, où les barrière n'existent pas, et la forêt, horizon fermé, monde clos. Une forêt où on peut sa cacher, alors que c'est dans la lande ouverte que Kohlhaas se fera arrêter.
La réalisation développe donc ce thème de multiples façons, avec intelligence.
Adaptation un texte de Kleist, le film adopte une réalisation très sobre et lente, évitant tout sensationnalisme, privilégiant une mise en scène travaillée, volontiers contemplative, et un jeu des acteurs tout en intériorité.
A ce titre, il faut signaler l'incroyable qualité du casting. Bruno Ganz, Denis Lavant, Jacques Nolot, c'est du lourd. Et, au-dessus du lot, Mads Mikkelsen, qui est vraiment formidable. Le plan-séquence final, uniquement centré sur lui, lui laisse le temps de nous convaincre qu'il a un talent monstrueux.
Alors, forcément, il faut aimer les films sobres et lents, mais c'est très beau.