Il y a près de soixante ans maintenant, Andreï Kontchalovski écrivait, avec son camarade de classe au VGIK (l’école de cinéma de Moscou) Andreï Tarkovski, un film sur le fameux peintre d’icônes Andreï Roublev.
Et voilà que, à plus de 80 ans, Kontchalovski retrouve, cette fois-ci comme réalisateur, un autre peintre célèbre, Michel-Ange.
Bien des points communs pourraient être trouvés entre les deux films. Le Michel-Ange de Kontchalovski est un homme tiraillé entre la pratique de son art et les considérations bassement humaines, en particulier politiques. Car c’est là un des thèmes majeurs du film.
Le Michel-Ange de Kontchalovski nous plonge en pleine Italie du XVIème siècle. Une Italie montrée comme un lieu d’intrigues politiques. D’un côté, la famille Della Rovere, de l’autre les Médicis. Et le centre de leur conflit (autrement dit, le centre d’un pouvoir politique qui dépasse largement les frontières de la péninsule italienne), c’est le Saint-Siège. L’ancien pape, Jules II, était un Della Rovere. Le nouveau pape, Léon X, est un Médicis. C’est donc une petite révolution politique qui s’effectue, avec son lot de chasses aux sorcières et de retournements d’alliances.
Au centre de ce conflit se trouve Michel-Ange. Il était très attaché à Jules II, qui lui avait commandé les fresques de la voûte de la Chapelle Sixtine, ainsi qu’un immense tombeau. Mais la nouvelle famille régnante veut “récupérer” le génie de Michel-Ange pour servir sa cause. Le peintre-sculpteur va être ainsi tiraillé entre ses anciens engagements et la volonté de ne pas froisser les Médicis, de peur d’être empoisonné ou assassiné au coin d’une rue. Et puis, outre leur pouvoir, les Médicis ont aussi un solide argument, la fortune.
Cela explique en partie le fait que Michel-Ange fait constamment référence à Dante, autre génie qui fut aux prises avec les soucis politiques de son temps (ce qui donne une sublime scène, quasiment la conclusion du film, où Dante vient “rendre visite” à Michel-Ange).
Tout le film de Kontchalovski est marqué par ce tiraillement entre les aspirations artistiques et les soucis purement matériels et, pourrait-on dire, humains. L’intention du réalisateur n’était pas de montrer le mystère de la création artistique elle-même. A ce sujet, il affirme :
“Voir un homme écrire de la musique ou peindre, c’est ennuyeux. Je
veux montrer un homme aux prises avec ses tourments, aux prises avec
ses rêves”
L’une des images les plus fortes du film, c’est celle du “Monstre”, un énorme bloc de marbre, en équilibre précaire au bord d’un précipice. Une image qui en dit long sur le sujet du film lui-même. Michel-Ange est constamment en équilibre entre grâce et lourdeur, entre divin et infamie, entre compromissions et intégrité, entre art et politique. Comme tous les hommes, il aspire au meilleur, au sublime, mais il se retrouve dans un monde matérialiste de violence, de domination et de saleté.
Pour appuyer son propos, Kontchalovski se plaît à décrire une vie quotidienne d’une grande saleté. Les ordures jetées dans les rues, les maladies, rien ne nous est épargné de cette insalubrité permanente qui, forcément, renvoie à une souillure morale (le sous-titre du film, Il Peccato, signifie Le Péché).
Au milieu de tout cela, Michel-Ange paraît être fragile, timide, nerveux, rempli d’angoisses. C’est un homme faible, ballotté par les circonstances. Le film joue beaucoup sur le contraste entre cet homme faible et angoissé, que l’on dit sale, et la puissance de ses oeuvres, qui sont constamment qualifiées de “divines”.
Le monde lui-même est tiraillé entre les deux extrêmes. Il est certes plein de boue, de sang, de violence, mais chaque paysage est digne d’une oeuvre d’art. D’ailleurs, avec une sublime rigueur dans la composition de ses cadres, Kontchalovski fait de ses plans de véritables œuvres d’art rappelant les grands maîtres italiens ou flamands.
Il faut signaler, au passage, la qualité exceptionnelle de l’interprétation de l’acteur principal, Alberto Testone.
“Il y a deux personnages dans ce film : Michel-Ange, et les carriers
de Carrare.”
Une des parties essentielles du film, peut-être la plus importante, se déroule à Carrare. Michel-Ange vient là chercher du marbre pour le tombeau de Jules II, et il se retrouve face à ce “Monstre”, bloc de marbre jamais vu jusqu’alors.
Kontchalovski va filmer le travail de ces carriers avec une attention extraordinaire portée aux moindres détails et un amour des gestes précis. Pour retrouver ces gestes, Kontchalovski a engagé des acteurs amateurs mais de véritables carriers (le procédé est habituel au cinéaste : dès le début de sa carrière de réalisateur, en URSS, il avait déjà tourné avec des acteurs amateurs qui tenaient leur propre rôle, que ce soient les éleveurs du Premier Maître ou les kolkhoziens du Bonheur d’Assia ; Kontchalovski s’est toujours dit proche du néoréalisme et cherche constamment la vérité du geste et le réalisme des caractères).
De ces carriers, la caméra de Kontchalovski va faire de véritables artistes (au même titre que le fondeur de cloche dans Andreï Roublev), des artistes qui poussent le plus loin possible le perfectionnisme de leur art pour atteindre au sublime.
Article publié dans LeMagDuCiné