Comment un artiste, surtout quand il est génial, réussit à accomplir son œuvre, à être un de ses êtres humains que les dieux ont besoin d'inventer pour montrer qu'ils existent (pour paraphraser Stefan Zweig !) face aux contraintes matérielles, financières et surtout humaines ? Oui, parce que les petites guéguerres humaines sont loin d'être le moindre souci, surtout quand on vit dans la Rome et le Florence du XVIe siècle. Michel-Ange en savait quelque chose...
Andreï Kontchalovski n'oublie jamais cet angle d'attaque tout au long de ce film et de répondre à la toute fin, avec un caméo de Dante lui-même, sorti d'entre les morts. Sauf que le poète ne l’emmènera pas tel un Virgile en Enfer, au Purgatoire et au Paradis pour l'amener à la solution. Il dira juste un seul mot, pas besoin de plus. Le tout pour se conclure en apothéose en pompant allègrement Tarkovski tendance Andreï Roublev (cela fait beaucoup d'Andreï, n'est-ce pas ?). Mais bon, quitte à pomper, autant que ce soient les meilleurs et autant que ce soit un peu soi-même aussi tant qu'à faire (oui, Kontchalovski a été le coscénariste de Tarkovski sur ce film !).
Tout n'est pas parfait.
Dans la scène de confrontation avec les membres de la famille de celui qui a peint le plafond de la chapelle Sixtine, la colère est plus slave qu'italienne ; ce qui fait que ça sonne faux. Il n'y a pas d'agitation de mains, de cette sorte d'exubérance volubile caractéristique de la Botte. Heureusement que la grande majorité des affrontements se font d'une manière plus retenue, donc avec une tonalité plus juste. Ce qui n'empêche nullement la menace d'être présente et pesante (au contraire !).
Certains personnages secondaires ne sont pas bien mis en valeur, à l'instar du couple qui se marie ou des divers cassos qui constituent l'entourage familial du peintre-sculpteur.
Mais à côté de cela, les qualités l'emportent, même pour la plupart des personnages secondaires.
Par exemple, le pape Léon X n'a qu'à apparaître qu'une seule fois pour bien marquer l'esprit avec sa bonhomie bienveillante redoutable. Le fantôme du prédécesseur, Jules II, est parfait en figure paternelle symbolique qui n'hésite pas à corriger sévèrement et violemment son fils spirituel prodige, mais lent à la tâche.
Oui, parce que l'ensemble a le mérite de ne pas tomber dans le piège de l'artiste tourmenté parfait et parvenant à s'écarter totalement de la médiocrité des réalités du monde. Michel-Ange est montré comme étant souvent sale, distrait, cupide, faux-jeton, envieux, ne reconnaissant pas le mérite des autres (seul Raphaël, alors au bord de la tombe, recevra un hommage de la part de son concurrent !) et avec une propension aux éclairs de folie, s'incarnant notamment dans des monologues de fureur. S'il arrive à s'en sortir dans cette période où la dague et le poison étaient très faciles, ce n'est pas par ruse (en effet, il se fait même griller à chaque fois !), c'est parce que son talent unique est son permis de vivre.
Un petit mot de la technique tout de même. L'impression (je dis bien l'impression !) que donne l'ensemble d'être filmé à la lumière naturelle, à l'instar des séquences de nuit à la bougie, est admirable. La composition de l'image est très soignée. On se croirait vraiment dans cette période trouble, sale et exceptionnelle sur les plans artistique et architectural qu'est la Renaissance. Et les scènes dans les carrières de marbre de Carrare ne sont pas dénuées de spectaculaire (rien de tel que le transport d'un immense bloc de cette roche pour impressionner !).
Allez, si vous voulez un biopic sur un génie atteignant, envers et contre tous, le sublime, jetez vous sur ce film...