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Il ne suffit plus de grand-chose aujourd’hui, à l’heure où les idoles disparaissent les unes après les autres, pour qu’on dise d’un auteur qu’il est le successeur de l’une d’entre elles. L’erreur monumentale vis-à-vis de Midnight Special, c’est de faire croire au public qu’il trouvera là un héritage, jugeant alors le produit, par défaut, à travers ce prisme fanatique et gentiment rétrograde. Les films de genre sont d’ailleurs entachés par cette tendance, qui voudrait qu’un bon film dans cette branche soit dans la continuité de ce qui a déjà été fait. Jeff Nichols est, indubitablement, possédé par ces auteurs emblématiques, mais aussi par l’ambition de raconter à sa manière un récit filial sur fond de secte et de messie à venir.


Midnight Special est un film qui s’enferme, à la manière de ses protagonistes en fuite, allant toujours vers l’avant car le passé pourrait les rattraper n’importe quand. En cela, c’est là que se situe l’idée du projet de Nichols, qui voudrait faire un film lui rappelant la grande époque de son enfance, et se débarrasser de cet héritage en y appliquant sa méthode. La mise en scène est expéditive, naviguant toujours sur deux lignes médianes (le jour et la nuit) qui auront pourtant un mal fou à se croiser, empêtrées dans un rythme laborieux où les personnages mutiques agissent sans jamais regarder derrière eux. Les questionnements sont là, envers l’enfant et ses pouvoirs, et envers cette secte que Nichols nous présente sous un jour inquiétant, tellement en dehors de la société qu’elle vient à en vivre la nuit. Jamais, pourtant, nous n’aurons de réponses, car il ne faut pas réfléchir mais croire. Croire envers les sentiments que Michael Shannon éprouve pour son fils, croire en cette lumière qui émerge des yeux d’un enfant possédé. Un problème qui empêche au film de développer des enjeux, d’avancer vers cette destination qui donnerait enfin tout son sens au récit. On est enfermé dans le noir, l’obscurantisme, donnant à ce film aux allures arty la sensation de ne pas vouloir intégrer le spectateur au projet, ne jamais accepter l’idée qu’il puisse développer ses propres interprétations. Ce qui devrait être une qualité, à l’heure où les films à twist donnent faussement la liberté au spectateur de croire qu’il a le contrôle, est finalement un poids immense sur les épaules d’une production aux ambitions beaucoup trop grandes. Nichols pense trop, et oublie de créer des sensations, au point que les surprises du métrage ne font plus ni chaud ni froid.


Réaliser un film à la sécheresse émotionnelle marquée n’est en rien déficient ; on vient de voir Hou Hsiao-Hsien y parvenir avec brio, mêlant son présent immuable au rythme sec des combats d’arts martiaux. Mais il convient aussi d’y associer une rigueur sur le plan théorique, là où Jeff Nichols pense qu’il suffit de rendre ses personnages mutiques pour instaurer du mystère dans un univers très normé et prompt aux dialogues alambiqués. Midnight Special n’avance pas, ou bien justement avance-t-il sans jamais se soucier de qui que ce soit, et que l’appel émotionnel du récit n’est, du coup, jamais entendu par un spectateur déjà parti ailleurs.

Florian_Bodin
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le 27 mars 2016

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Florian Bodin

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