David Fincher à la réalisation de Millénium, avec en têtes d’affiche Rooney Mara et Daniel Craig. Une nouvelle adaptation tout aussi soignée que la suédoise avec Noomi Rapace et Michael Nyqvist. Cela ne pouvait qu’être un succès, non ? Eh bien, pas tant que cela… Si le film est, à titre personnel, tout bonnement excellent, celui-ci n’a pas su convaincre les producteurs de par son score au box-office, jugé décevant (près de 233 millions de dollars à travers le monde, pour un budget de 90 millions). Ajoutez à cela un Daniel Craig devenu beaucoup trop gourmand en matière de cachet depuis qu'il incarne James Bond et des tensions entre les producteurs et David Fincher, et vous comprendrez très vite pourquoi Millénium 2 made in USA ne s’est jamais fait. Et ce malgré des rumeurs qui disaient le contraire pendant quelques années. Non, le projet était bel et bien mort… jusqu’à ce que Sony surprenne tout le monde en annonçant un tout nouveau film. Non pas une suite mais une adaptation inédite. Celle du quatrième volet, jamais effectuée jusque-là. L’occasion pour le studio de rebooter la franchise en nommant un nouveau réalisateur ainsi qu’un nouveau casting. Et en la personne de Fede Alvarez (Evil Dead, Don’t Breathe), autant dire que ce « Millénium 4 » avait une chance de séduire l’assistance. Vraiment !
Que l’on soit fan ou non de son travail, le cinéaste a su démontrer dans ses longs-métrages sa faculté à créer une atmosphère tendue. Une ambiance qui oscille avec facilité entre le glauque, le malsain et le glacial. Bref, ce qu’il fallait pour un film Millénium, afin de retranscrire les décors peu avenants de cette Suède dépeinte dans les livres. Alvarez, à défaut d’être aussi talentueux que Fincher, était la personne idéale pour reprendre les enquêtes de Lisbeth Salander et Mikael Blomkvist. Malheureusement, nous sommes très loin du compte et ce dès les premières minutes. Est-ce un désir des producteurs qui ont transformé le réalisateur en yes man ou bien un excès de confiance de ce dernier ? Il n’empêche que Millénium 4 affiche une mise en scène tape-à-l’œil au possible. Tout semble avoir été pensé pour créer une atmosphère étrange dans ce film. Que ce soit la direction artistique, oscillant entre des jeux de couleurs flagrants (une robe rouge pétant dans un paysage neigeux, les lumières d’ambiance d’une boite de nuit…). Les effets excessifs de Fede Alvarez et de sa monteuse Tatiana S. Riegel (ralentis, caméra volant dans les décors…). Ou encore les compositions musicales de Roque Baños, se vautrant parfois dans les poncifs à outrance (comme sortir les violons pour un moment triste). Tout a été mis en œuvre pour conférer à Ce qui ne me tue pas une atmosphère qui se fasse remarquer. Mais celle-ci n’est ni malsaine, ni tendue. Certes stylisée mais surfaite, voire artificielle au possible. Tellement étrange qu’elle nous sort littéralement de l’intrigue, nous empêchant d’y être attentif. Et pour un thriller, c’est plutôt rageant !
Mais la mise en scène et l’allure général du film ne sont pas les seuls défauts à déplorer. Il faut également en vouloir au scénario. Et pour cause, ce dernier n’effectue que le minimum syndical, à savoir reprendre les grandes lignes du livre – et encore, n’ayant pas lu ce dernier, j’ai pu découvrir que ce film s’éloignait beaucoup de son modèle littéraire – sans pour autant étoffer tout le reste. Dans le cadre d’une adaptation, c’est plutôt courant (pour ne pas dire désolant). Si ce constat s’avère navrant, on peut tout de même faire fi du manque de travail d’écriture. Mais dans le cadre de ce Millénium 4, ce n’était tout bonnement pas permis. Car rappelons que ce film s’est vendu à nous comme un reboot de la saga. Qu’il se devait donc de repartir de zéro. De devoir nous présenter à nouveau les personnages, leur passé respectif et les relations qui les unis. D’autant plus que c’était la chose la plus judicieuse à faire, le statut reboot induisant le fait que le film pouvait s’ouvrir à de nouveaux spectateurs néophytes de la saga créée par Stieg Larsson. Qui ne connaissent nullement les protagonistes et leur histoire. Qui n’ont peut-être pas eu la chance de voir les versions suédoises du 2 et du 3 dans lesquelles les personnages ont pu évoler (et qui n’ont pu être faits aux USA). Mais non, Millénium 4 a préféré aller directement dans le vif du sujet, comme si tout le monde suivait la saga depuis le début et serait capable de comprendre les nuances de l’histoire sans pour le coup les évoquer (la relation entre Lisbeth et Mikael, le passé douloureux de Lisbeth, les affaires de son père...). Difficile donc de s’intéresser à une intrigue faussement tortueuse qui ne prend jamais le temps de s’attarder sur ses personnages. Déjà que l’ambiance tape-à-l’œil n’aidait pas beaucoup…
Pour le reste du film, disons que c’est potable. Les séquences d’action sont rondement menées à défaut d’être exceptionnelles. Les comédiens sont dirigés comme il faut sans pour autant être aussi charismatiques et inoubliables que leurs prédécesseurs – bien que Claire Foy nous livre une Lisbeth convaincante. Une intrigue titillant tout de même notre curiosité au point de nous donner envie de nous attaquer à la lecture du bouquin. Millénium : Ce qui ne me tue pas n’est vraiment pas un mauvais film. Il y en a de biens pires, surtout en cette année 2018. Ce sont malheureusement les décisions prises lors de sa conception qui en font un titre de très faible envergure, lui donnant bien plus des airs de téléfilm du dimanche soir plutôt que de long-métrage méritant sa place sur grand écran.
Résultat des courses : un échec des plus cuisant pour le retour de la saga Millénium. À peine plus de 31 millions de dollars récoltés à travers le monde et ce pour un budget de 43 millions (hors frais de promotion). Des critiques dans l’ensemble peu emballées. Des spectateurs même pas convaincus pour un sou. Sony voulait absolument exploiter la saga suédoise tout en réduisant les coûts à l’excès pour éviter « l’échec commercial » du film de David Fincher. Le studio se retrouve ironiquement avec une véritable hécatombe financière sur les bras. Cela en valait-il la peine d’écarter un mec aussi talentueux que le réalisateur de Se7en et d’éviter de trop dépenser dans le cachet de Daniel Craig pour faire une adaptation américaine de haute tenue ? Les producteurs devaient le penser. Désormais, ils doivent s’en mordre les doigts, ayant tout simplement détruit toute chance à la saga de perdurer au cinéma…
Critique sur https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/01/rattrapage-2018-millenium-ce-qui-ne-me.html