L'amour au fond des poings
Sans vouloir dénigrer le cinéma d'Eastwood aujourd'hui, qui comporte quelques pépites comme Gran Torino, Million Dollar Baby qui succédait à Mystic River, représente dans la carrière du réalisateur, une brève période d'état de grâce durant laquelle nous avons cru que chacun de ses films serait systématiquement une merveille.
Million Dollar Baby est une réussite absolue sur tous les plans, l'histoire tout d'abord, sans être révolutionnaire, aborde des thèmes assez inhabituels qu'un républicain comme Eastwood n'a pas l'habitude de traiter. Certes, le thème de "la réussite à la portée de tous à condition de le vouloir" n'est pas une surprise. Le problème de l'euthanasie qui est le sujet principal de la dernière partie est déjà plus étonnant, d'autant qu'il est traité sans aucun voyeurisme malsain et avec tout le recul nécessaire. Il ne faut pas croire qu'Eastwood est un républicain lucide, il y a en lui l'homme et le réalisateur. Déjà dans Jugé Coupable, il abordait le thème de la peine de mort mais ne prenait la défence que des erreurs judiciaires sans pour autant remettre en cause l'idée des injections léthales pour les assassins. C'est d'autant plus rageant de le voir traiter des sujets aussi sensibles avec tellement de talent.
Dans Million Dollar Baby, son talent de compositeur et d'intérprète explose également par les quelques notes de piano qui consituent la bande originale du film. Il lui suffit de peu de choses, une dixaine de notes, pour poser une atmosphère, créer une intimité. Si une scène constitue une émotion, la musique d'Eastwood peut nous faire basculer dans les larmes.
Ses choix d'éclairage et de mises en scène sont également une absolue réussite, il suffit de voir cette scène où, lors d'un entraînement tardif, l'éclairage des deux personnages crée une intimité protectrice et suffit à rendre une salle de boxe hostile et masculine, aussi rassurante qu'un cocon. Eastwood fait de l'éclairage une science dont il serait le seul à détenir jalousement les clés.
Les acteurs sont dans le même état de grâce que ne l'est Eastwood, Hilary Swank se révèle plus que jamais, sachant incarner la force et la détermination d'une femme décidée à atteindre son but, mais redevenant enfant lorsque ce but semble si proche. Clint Eastwood est tel qu'en lui-même, coeur d'artichaud derrière un regard d'acier, assisté voir surveillé de près par un Morgan Freeman bouleversant, sorte de conscience morale d'Eastwood son patron, mais on sent que lui aussi aurait besoin que quelqu'un se préoccupe de lui.
Bref, Million Dollar Baby est un grand film en général et d'Eastwood en particulier, le recul néccesaire n'est peut-être pas encore atteint mais c'est déjà un classique du cinéma.