Avec sa quatrième réalisation, et un film raté, Yun Je-Kyun reprend le cours de son exploration des mœurs coréennes, en allant plus en avant dans la satire sociale. Après trois comédies, une sur les gangsters, un Teen Movie, et un truc médiéval, il s’oriente cette fois ci vers une chronique du quotidien, prenant place dans une rue de Séoul où demeure une population désœuvrée, loin de tout confort, sans eau courante ni internet, mais une forte solidarité.
Pil-je, un jeune type à la mode, débarque brusquement dans le quotidien de ces gens, commandité par son patron, un promoteur véreux, avec pour objectif de dresser les plans d’un futur quartier huppé, au détriment des habitats de ses habitants. Ces derniers tombent ainsi sous le coup d’une expropriation forcée et illégale, avec aucuns moyens à leur disposition pour se défendre.
Chargé de préparer leur expulsion, ainsi que de la préparation du plan de construction sur les ruines des maisons vétustes, l’aventure de Pil-je n’est pas de tout repos. Confronté à une population haute en couleur, il s’attache peu à peu à eux, notamment aux enfants qui n’ont rien, pour qui il dégage une forte sympathie. En parallèle, une relation éclose entre lui et Myeongnan, une jeune boxeuse qui rêve de devenir championne d’Asie.
Une fois de plus c’est plein de genres différents qui se croisent au cœur de cette production. Qui permettent d’illustrer avec minutie les différents thématiques qui parcourent l’œuvre de Yun Je-kyun. Ainsi la corruption, et l’expression d’une grande violence venant de population ‘’supérieures’’ se consolident. En effet le patron de Pil-je est un jeune loup, carnassier, qui n’hésite pas à punir physiquement son employé, de l’humiliation verbale, en passant par les petites claques dans la gueule, jusqu’aux coups de pieds.
C’est à nouveau à une Corée du Sud empreinte d’une forte violence, physique comme institutionnelle, que le réalisateur dresse un portrait. Métaphoriquement représentée ici en la personne de Myeongnan, et des séquences d'entraînements et de boxe. Mais également par une consommation excessive d’alcool, dernier échappatoire de citoyens blasés, oubliés au point même qu’au-dessus de leurs foyers se dressent un projet urbain auquel ils ne sont pas attachés.
La relation entre Pil-je et Myeongnan occupe l’arc narratif centrale de ‘’1 beon-ga-eui gi-jeok’’. Elle se développe tout au long du récit, de leur rencontre atypique (sur des chiottes) à un jeu de séduction maladroit, mais qui les rapproche naturellement, avec des hauts et des bas. Pil-je ne pouvant dès lors plus livrer cette population, au sein de laquelle il s’intègre malgré lui, aux griffes avide de richesses de son patron.
Comédie satirique, chronique du quotidien, film de sport, drame, tragédie, thriller, et d’autre, sont autant de composant de l’aventure de Pil-je. De plus le métrage ne s’épargne pas une forme de poésie, un peu brute, qui colle parfaitement à sa propre réalité, qui autorise quelques séquences à l’audace formelle, venant rappeler que derrière ces cabanes vétustes, leurs toits de tôle percés et un seul water pour tous, il y a des êtres humains, qui rêvent tous à mieux.
Myeongnan veut devenir championne de boxe pour marcher sur les traces de son père, devenu catatonique suite au ‘’match de trop’’. Mais par le sport elle cherche aussi à s’émanciper de sa condition sociale. Deux jeunes orphelins livrés à eux-mêmes s’occupent de leur grand-père atteint d’un cancer incurable. Un petit illuminé, portant un masque d’Ultraman, s’acharne à trouver un moyen de voler dans les airs. Ce microcosme de désaxés touchent, sans le savoir un Pil-je, qui de fait revoit ses plans de destruction, s’opposant de fait à son cruel boss sans cœur.
Il est très clair que Yun Je-kyun prend ses personnages en sympathie, en les filmant avec une grande tendresse et une imposante humanité. Dès lors nous, simples spectateurices des évènements qui se déroulent, ne pouvons que voir naître de l’empathie pour ses misfits aux cœurs d’or. Et elle est là la grande réussite du métrage, bien plus maîtrisé que ses précédentes réalisations, qui parvient à trouver un équilibre parfait entre comédie et drame.
De l’arrivé de Pil-je à son adoption par les habitants du bidonville, jusqu’à son opposition contre son promoteur de patron, il est clair dès le départ que cette histoire n’est pas un conte de fée. Ce que renforce la douce ironie de son titre, que l’on peut traduire en Français par ‘’Miracle sur la 1ère avenue’’. Le miracle étant plus le destin de Pil-je, que celui des habitants de l’avenue.
Avec cette grande aventure humaine, filmée avec le cœur, à hauteur d’une population démunie, dans l’un les pays les plus économiquement développé du monde, le film de Yun Je-kyun démontre qu’il existe en Corée du Sud, et ce dès les années 2000, un cinéma se faisant le réceptacle critique d’une société inégalitaire, où demeure une forte pauvreté, qui si elle est cachée, n’en est pas moins présente.
Avec ‘’1 beon-ga-eui gi-jeok’’ le metteur en scène, abandonne les fioritures un peu potache qui jonchaient son cinéma, pour se révèle une fin observatrice de son époque, de la société de son pays, ainsi que de son fonctionnement. Mettant à jour la corruption et la grande violence, qui demeurent dans les rapports entre les différentes classes sociales.
Sortie en 2007, cette petite œuvre sympathique et touchante, conserve toujours en 2020 sa force, puisque la Corée du Sud n’est toujours pas parvenue à bout de sa pauvreté. Mais surtout, l’histoire qui y est contée l’est avec une universalité telle, qu’elle peut s’appliquer à d’autre nation, en d’autre temps, bien au-delà des frontières physique et temporelle du Pays du Matin Calme. Reflétant une réalité de notre temps, omniprésente à l’échelle de la planète.
-Stork._