Misanthrope marque le retour derrière la caméra de Damian Szifron qui avait réussi à marqué les esprits avec Les Nouveaux sauvages, il y a déjà presque 10 ans.
Si le principe du thriller policier semble éculé et sans doute loin d'être judicieux dans une époque où la police n'a pas le vent en poupe, Damian Szifron réalise avec ce Misanthrope un film d'une pertinence rare, usant plutôt de l'enquête pour témoigner de son époque plutôt que de nous divertir avec une énième enquête policière vaseuse.
Le sixième sens
Le film parvient à saisir dès son ouverture : dans les rues et immeubles de New-York, la ville s'affaire au nouvel an de manière festive et enjouée. Et sans crier gare, de nombreuses personnes commencent à se faire canarder : qu'elles soient dans leur appartement, sur le toit d'un immeuble, dans l'ascenseur. Très vite, on rejoint la policière incarnée par Shailene Woodley, appelée pour virer une vieille dame esseulée qui semble déranger le propriétaire d'un diner en ville. La police finit par découvrir l'appartement à l'origine des tirs, qui va aussitôt exploser.
Shailene Woodley va alors se rendre sur place, malgré la dangerosité, comme happée par un intérêt presque déplacé.
En situant cette ouverture dans des appartements new-yorkais tout en hauteur, le réalisateur transforme ces lieux festifs en pièges dont il est impossible de s'échapper. Les victimes ne savent pas d'où vient le tir mais ne peuvent s'échapper (d'autant plus marquant dans l'ascenseur). Eléanor (Shailene Woodley) est quant à elle, au sol, dans un diner où elle est en mesure de faire preuve de compassion envers une vieille femme marginale que le diner ne veut pas accepter. En montant dans l'appartement du tueur et en prenant à contre-courant le flux conséquent de gens qui fuient l'immeuble, elle manque de s'asphyxier comme si elle montait dans ce piège anxiogène pour, non pas agir, mais juste comprendre.
La traque
Si le film nous amène à suivre l'enquête mené par Lammark (Ben Mendelsohn), c'est surtout pour nous montrer ce qui l'agrippe et l'empêche de progresser, plus que pour la voir progresser.
Ainsi, rapidement, on comprend que les rouages politiques vont entraver cette enquête, bien plus intéressés par l'image que la sécurité des habitants. Les personnages seront alors contraints de s'adapter pour continuer et devront souvent faire face à des situations irrationnelles (comme la mort d'un innocent, ou la piste d'un groupe fasciste) pour être en mesure de progresser.
Le film joue avec la notion d'héroïsme ou plutôt son absence pour y mener cette enquête à bien.
D'ailleurs le personnage de Lammark est sans doute celui qui nous le démontre le plus : présenté comme quelqu'un d'assez froid mais perspicace, il va se montrer malmené par un système qui l'entrave et avec lequel il est constamment contraint de s'adapter. Lorsqu'il endossera des responsabilités qui ne sont pas les siennes, il dévoilera alors un désir de gloire et d'héroïsme qui ne feront que le conduire à la mort.
A ce niveau, le film s'attache à nous dévoiler un système pourri à la recherche de l'immédiateté plutôt que l'efficacité, de l'image plutôt que la sécurité et à quel point cela amène des conséquences fâcheuses et tragiques.
Le silence des agneaux
En faisant de Eléanor une sorte de Clarice Sterling, en mesure de comprendre le meurtrier qu'elle poursuit, le film cherche à nous faire prendre conscience de cette société uniformisée, incapable de montrer la moindre empathie.
Ainsi, dès le départ, même les victimes nous semblent incapable de se préoccuper des autres (entre une mère qui ne voit pas que sa fille a besoin d'elle, les différents morts que tout le monde fuit aussitôt...) et semblent au contraire se complaire dans des contextes urbains et festifs (le nouvel an, le centre commercial...). Là, où, au contraire, c'est face à l'horreur des abattoirs, montré de manière très cru, que les enquêteurs rencontreront la seule personne capable d'empathie.
Même au sein de la police, on sent une volonté d'uniformisation qui passe à travers les diplômes (le talent d'Eleanor n'est reconnu que par la sensibilité de Lammark, là où le reste de la police va voir dans son absence de diplômes, un manque de compétences) et d'impossibilité d'entraide (la fameuse parano de Lammark envers les autres services).
Le réalisateur s'amuse d'ailleurs à mettre en avant des enseignes de marque devant lesquels les horreurs sont commises mais dont l'uniformité empêchent de savoir qui est le tueur (chose qui sera finalement dévoilé dans un final à la campagne).
Et c'est finalement ce qui rapprochera Eleanor du tueur : dans un monde où l'uniformité et le conformisme ont autant d'importance, il est impossible d'être différent (ou d'avoir un parcours atypique) sous peine de commettre l'irréparable ou d'être laissé pour compte.
A travers un thriller policier, genre pourtant vu et revu, Damian Szifron parvient à en faire un parfait pamphlet sur les rouages pourris du système qui entravent toute progression tout en montrant à quel point ce monde uniforme et conformiste pousse à l'aliénation et l'impossibilité de communication et d'empathie les uns envers les autres.