Misanthrope semble au premier abord être un nouvel ersatz de ces thrillers américains au allures des années quatre-vingt-dix : un tueur psychopathe, un duo d’enquêteurs pas assez ancrés dans le système qui peuvent jouir d’une certaine liberté dans leur enquête qui les mèneront dans leurs derniers retranchements (qu’ils soient corporels ou psychologiques) mais trouvant une certaine filiation avec le tueur, et enfin à la photographie terne. Formule dont les prémices peuvent remonter jusqu’au Sixième sens (Michael Mann, 1986) pour trouver son apogée avec Le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1991) ou encore Seven (David Fincher, 1995). Un genre aujourd’hui tombé en désuétude. En tout cas, c’est ce qu’on pensait.
Parce qu’avec Misanthrope (To Catch a Killer en version originale), David Szifron signe un thriller d’une très grande efficacité. Le postulat de départ est pourtant bien simple : le soir du Nouvel An, un tueur assassine froidement un grand nombre d’innocents. À partir de cette nuit, une équipe de police menée par un agent du FBI se charge de l’affaire. Mais c’est bien par une écriture déstabilisante que Szifron (épaulé par Jonathan Wakeham) insuffle dans son œuvre une dimension inattendue et complexe. Les situations auxquelles les personnages sont confrontés sont classiques dans ce genre d’œuvres, mais la façon dont sont dépeints les différents protagonistes est à la fois chaleureuse et froide. C’est ce regard paradoxal qui va se propager dans toute la technique de Misanthrope : les personnages sont à la fois antipathiques (que ce soit par rapport au spectateur, mais aussi les uns envers les autres), mais aussi remplis d’un respect et d’une admiration sincère.
Cette sincérité se ressent toute au long du film. Premièrement par son casting (parfait). Shailene Woodley (qui par ailleurs co-produit) est réellement habitée par ce personnage traumatisé, solitaire autant des autres que d’elle-même, et à qui on donne finalement sa chance. Un personnage qui nous est présenté comme compréhensive des actes du tueur, comme de nombreuses fois dans ce genre de films. Mais elle n’est pas compréhensive parce qu’elle a étudié les comportements humains, ou pire, par des sortes de liens fantastiques avec l’antagoniste. Non, elle est elle-même paradoxale ; comme psychologiquement instable elle-même, elle pourrait vriller dans un claquement de doigts. Et le personnage (brillamment) interprété par Ben Mendelsohn arrive comme médiateur de cette psychologique défaillante, par un calme olympien insinuant qu’il soit digne de confiance.
La mise en scène, elle aussi, est remplie de paradoxes. Rien que dans sa séquence d’ouverture aux allures de massacre du Nouvel An, la caméra est à la fois virevoltante, passant entre les feux d’artifices, à la fois froide, brutale lorsque celle-ci prend les haut et fixe dans des plans immobiles, les victimes de l’attaque. La note d’intention est donc claire : le film prend son sujet de manière froide, brutale voire clinique, mais il est également capable de donner du spectaculaire. C’est ici un mariage très maitrisé, tenant le spectateur en haleine, où lorsque l’ensemble paraît ne se dérouler que lors d’une nuit (une majorité de l’œuvre se déroule de nuit), il explore les zones de doute, de réflexions et d’actions à un rythme parfait, jusqu’à un final réellement haletant en trois actes qui certes n’est pas aussi spectaculaire qu’il aurait pu être, mais qui se tient par une ambiance pesante mais agréable, une mise en scène tantôt posée, tantôt expressive, elle garde un rythme et une écriture propre, cohérente et respectueuse de l’œuvre.