Docteur cagoule
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Au commencement était le mythe, celui d’Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, sacrifiée par son père lors de la guerre de Troie suite à une offense commise contre la déesse Artémis. Ramené à aujourd’hui, Yórgos Lánthimos en a fait une autre histoire, celle de Steven, brillant chirurgien cardiologue de Cincinatti, marié à Anna et père de deux enfants, forcé par Martin, jeune garçon estimant qu’il est responsable de la mort de son père, à devoir sacrifier l’un des membres de sa famille. Et de famille, il est donc encore question ici, après Canine. Lánthimos observe celle de Steven imploser en douceur, troublée et mise en danger par un élément extérieur (rejet et appréhension de la société dans Canine, omniprésence mystérieuse de Martin dans Mise à mort du cerf sacré) annonçant l’apothéose qui vient : celle du désastre.
On sent bien d’ailleurs l’inexorabilité de la chose et sa progression clinique dans l’horreur, et la caractérisation aussi des personnages érigés en quelques figures anciennes (un roi, une reine, leur fils et leur fille, le Mal tentateur et absolu…). Lánthimos assume ce parti-pris narratif sans jamais s’en détourner (alors pourquoi le lui reprocher ?) parce que son film est une fable, pas un précis de réalité. Le titre, suffisamment évocateur, est là pour le rappeler : on est dans l'allégorie, on est dans l'opéra, baroque pourquoi pas. Lánthimos y fait rôder la mort (les jeux sexuels morbides de Steven et Anna, la grande maison comme un mausolée, la scène finale dans le salon, cérémonial terrible où l’absurde se mêle au tragique…) et regarde un monde s'écrouler, se corrompre peu à peu : les certitudes, les croyances, les traitements médicaux qui ne servent à rien, les rapports (sociaux autant que physiques), les âmes et les corps.
De même, le flou maintenu dans la première partie du film autour de la relation entre Steven et Martin (fils caché ? Mentor et élève ? Amants peut-être ?) participe à ce dérèglement généralisé où les choses, longtemps, demeurent incertaines, jusqu’à ce que Martin révèle les effroyables événements qui attendent Steven, et par extension les principes programmatiques de la deuxième partie (terminus pour tout le monde). Sorte d’ange exterminateur porteur d’une justice divine, il soumet Steven et les siens à sa volonté (son pouvoir ?) qui ne trouvera d’autre explication que son entière (et évidente) singularité.
Barry Keoghan (aperçu à la va-vite dans Dunkerque), avec sa bouille bonhomme et son regard de chat maboul, est la vraie révélation du film, placide et inquiétant dans ce rôle de psychopathe descendu du Ciel. Lánthimos n’a pas été épargné par la critique lors de la présentation du film à Cannes, critique qui lui reprocha (entre autres) ses travellings avant et arrière, ses grands angles et ses zooms, sa musique classique (Bach, Schubert) ou expérimentale (Ligeti, la partition dissonante de Johnnie Burn) évoquant Stanley Kubrick (*Eyes wide shu*t en particulier), comme si ces effets stylistiques étaient devenus désormais des marques déposées ne devant plus être utilisés, puisque réservés au maître et au maître seul (et pour l'éternité semble-t-il).
Certes, c’est un fait qui ne pourra être ignoré, mais Lánthimos, au-delà des nombreux emprunts kubrickiens, impose une allure, une rigueur et une majesté en parfaite adéquation avec la dimension un rien théologique de l’intrigue (légères plongées ou plus accentuées, travellings solennels, visions étendues des espaces ramenant les personnages à leur statut de mortels redevables d’un Tout…). Derrière sa relecture mythologique et son style magistral, sous le glacis d’un humour noir ravageur, Lánthimos sonde nos humeurs de violence, de vengeance et d’abdication morale face à la menace et à l’inconnu. Et c'est grandiose.
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