Se défaire d'une mode restera toujours un acte de rébellion pour le moins appréciable. A regarder sans comparaison, donc, en laissant bien Keiichi Hara à sa particularité, sans main mise d'un studio reconnu, tel Ghibli. Car si on apprécie fortement ses propositions, le studio s'avère certainement, par sa recherche qualitative, contraignant pour certains de ses dessinateurs, à même peut-être de saper leur personnalité. Ses dernières propositions, pas toujours réussies d'ailleurs et qui répondent à un cahier des charges, nous ramènent gentiment aux contraintes vécues par Hokusai et sa fille, et rappelle aussi à ce qu'ils ont vécu dans la réalité.
Les commandes ne répondront pas toutes à la créativité ou à la personnalité du peintre et de sa fille. Celles érotiques verront chez Oi une difficulté à s'exprimer pour rendre ses personnages vivants et propres à titiller les regards, n'étant pas versée elle-même aux représentations du sexe et de ses fantasmes.
Oi par sa condition et poussée par ces hommes peu recommandables qui polluent sa sphère, tentera de parfaire son éducation en visitant une maison de geishas, ou un jeune homme, largement sollicité pour son physique androgyne, s'endormira à ses côtés, enfin reposé. Même si une légère frustration, sans mauvais jeu de mots (quoique) nous fait regretter que le jeune garçon, n'ait pas plus de présence et que son caractère enjoué masque sa réelle condition, quelle bonne idée que ce point de vue renversé, qui ne fera que confirmer à Oi que son art restera sa raison de vivre.
On pense alors inévitablement aux personnages forts et aux héroïnes de Yasujirō Ozu et son actrice Setsuko Hara, pour ces jeunes femmes luttant contre la main mise masculine, ne désirant aucunement un mari en lieu et place d'un père qu'elle manipule avec tendresse pour un hymne à la liberté et au choix de vie.
Keiichi Hara rend hommage au Peintre Hokusai, pourtant, le personnage sera laissé en filigrane, mettant en avant celui de sa fille. L'homme en lui-même est plutôt le garant de la technique, le maître mais aussi et surtout le guide tranquille et l'élément déclencheur à la sensibilité de sa fille. Cette femme qui vivra le reste de sa vie avec son père et qui a disparu à sa mort, aura suivi sa trajectoire dont on ne sait pas grand chose. Le père, ayant connu la famine, continuera à peindre et à vivre tant bien que mal de ses œuvres, évoluant sans cesse passant d'un style à un autre, sans contrainte et sans vouloir subir les commandes pour laisser libre cours à son art. Changeant de nom au fil de ses évolutions, comme le veut les traditions. Il dira à près de 70 ans qu'il lui reste encore beaucoup de chemin à parfaire son art.
Un autre point remarqué, sera le dessin et les expressions de Oi, peu commode, où le visage se dote d'un caractère fort, très beau par ailleurs qui s'éloigne des traits caractéristiques enfantins de l'animation japonaise et que d'autres comme Mamoru Hosada (Amé dans Les enfants loups, ou Shibuya dans Le garçon et la bête) ont brossé avec talent. La grâce tant marquée pour le féminin laisse place à toute une personnalité, bien loin des contingences du paraître, ou à la seule affirmation de leur genre mais Oi reste une jeune femme pleine d'amour pour sa petite sœur. Quelques belles scènes marquant le lien et celle du jeu dans la neige, tout en silence, marque avec finesse, la condition de cette enfant aveugle, abandonnée de son père et coupée de ses activités enfantines.
Une musique aux tonalités rock'n roll, étonne, mais on y apprécie pourtant ce lien entre le passé et le présent. Un hommage à l'époque d'Edo, et à toute la nostalgie qu'il convoque, pour un insert final nous montrant à voir ce qu'est devenu aujourd'hui Tokyo et ce fameux pont où aimait à flâner Oi et sa petite sœur, mais surtout à l'art de communiquer par le dessin et à lui donner suffisamment de matière et d'âme pour en marquer la force évocatrice à ceux qui y sont sensibles. Quelques envolées poétiques, quand les estampes s'animent, viendront les appuyer avec ce dragon que l'on attrapera pour mieux le coucher sur la feuille de dessin, démontre joliment par la métaphore, du don inné et souvent jalousé, qui est donné comme par magie à tous ces artistes. D'autres scènes surnaturelles viennent marquer par les souffrances et les cauchemars des propriétaires, un tableau raté et l'importance d'un travail bien fait.
Adapté de Arusuberi, d’Hinako Sugiur, on se laisse guider un peu légèrement mais avec plaisir pour un bel hommage en tout cas et une envie d'aller plus loin dans toute les subtilités artistiques de l'époque.