Ceux qui sont encore capables de s'enthousiasmer sur les films de Burton, d'écrire de longs textes examinant avec passion la place de l'auteur d'Edward aux mains d'argent dans son propre système esthétique et économique ont toute ma considération. A l'image du petit garçon de Frankenweenie, ils réaniment le cadavre de Burton, et c'est peut-être tout ce que leur demande aujourd'hui ce cinéma placé sous respiration artificielle, qui n'en finit pas d'agoniser.
La fable de Miss Peregrine – une histoire d'enfants bloqués dans une boucle temporelle en septembre 1943, mais brutalement délogés de leur petite bulle gothique – représente du pain bénit pour les adorateurs de Burton. Il y a largement de quoi de théoriser sur la façon dont l'auteur recycle le gothique industriel dont il a été le créateur, reproduit ses motifs favoris (les enfants « différents », les fille pâles aux grands yeux), se répète et essaie en même temps de casser sa petite musique. Tout cela est sans doute passionnant, à condition de considérer que Burton en a encore quelque chose à faire. La très brève apparition qu'il fait dans son film, dans la roue d'un parc d'attractions qu'on pourrait appeler Burtonland, laisse plutôt entendre qu'il se sent très bien chez lui et qu'il est en loin d'en avoir fini avec sa manufacture de poupées.
Pour celui qui, comme moi, reste extérieur au phénomène et à la passion presque irrationnelle que le cinéma de Burton continue de susciter, écrire sur Miss Peregrine est presque aussi inutile que de réfléchir aux qualités des romans d'Amélie Nothomb. L'un et l'autre ont en commun de gérer un public post-adolescent en pillant l'oeuvre des autres, celle de Roald Dahl, de Lewis Carroll et maintenant de Ransom Riggs pour Burton, celle de Charles Perrault pour Amélie Nothomb. Ce sont des faussaires et c'est ce qu'avouait Burton à travers le personnage de Christopher Walz dans Big Eyes, sans doute son film le plus sincère depuis Ed Wood.
Dans Miss Peregrine, Jacob un adolescent typique du spectateur tel que Burton l'idéalise (c'est-à-dire un gamin qui croit aux histoires) doit remplacer son grand-père (Terence Stamp) pour emmener les « enfants particuliers » dans une nouvelle boucle temporelle. Ado d'aujourd'hui, Jacob possède un objet qu'on n'a jamais vu chez Burton : le téléphone portable. « On peut envoyer des messages, écrire, faire des photos », explique-t-il à une enfant particulière. L'explication reste pourtant lettre morte pour les petites poupées mécaniques de Burton, qui ne sauront sans doute jamais ce qu'est un selfie. Lorsqu'elles ont la malchance d'arriver en 2016, elles débarquent directement dans Burtonland (le parc d'attractions) et cassent du squelette, dans un remake de Jason et les Argonautes. Le présent ressemble donc pour Burton à un péplum de 1963. On peut dire que la boucle est bouclée.
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