Mort, pendu, enterré, gazé, poignardé par la première génération de fans amoureux de son cinéma des années 90, Burton est également défendu coûte que coûte par une horde enragée prêt à en découdre à la moindre diatribe adressée au natif de Burbank. Burton sorti des nineties a-t-il vendu son âme au Diable dans un grand délire Faustien ou bien continue-t-il son p'tit bonhomme de chemin de marginal à la coupe de cheveux improbable ? Les deux mon Capitaine pourrions-nous répondre tout en étayant une plaidoirie objective à l'encontre d'un cinéaste Schizo perdu entre la crème et le sang, entre le baroque kitsch et le gothique tranchant. Burton, cinéaste né dans les années 80 appartient pourtant à cette génération de réalisateurs stars tels que Les Coen Brothers, David Fincher, Paul Thomas Anderson et Tarantino. Même si les trois derniers n'amorcèrent leurs carrières que dans les années 90, la prise de pouvoir de ce cercle était bien réelle. Le tronc commun étant celui de la reconnaissance des pairs / pères allant du Nouvel Hollywood pour Fincher et Anderson, en passant par le classique pur souche pour les Coen, le film d'expoitation pour QT et du cinoche griffé Universal monsters et Bava pour Burton. Si les ténors de la pelloche continuent durant le nouveau millénaire à aligner les futurs standards de l'époque, Burton psalmodie son début de filmo avant la fantastique embardée nécessaire dessinée au stylo numérique : "Alice au pays des merveilles".
L'ASCENSION
Il est évident qu'en l'espace de sept films, Burton aurait pu s'arrêter là. De "Pee wee's big aventure"à "Ed Wood", la montée en puissance est telle que le paria s'offre Hollywood sur un plateau en alignant deux films de super héros, une comédie et un drame fantastique, un biopic et chapeaute le plus beau film d'animation de ces 20 dernières années. Qui aujourd'hui ne peut s'empêcher de penser à la mélancolie de Selena Kyle perdue dans les bras de Bruce Wayne le soir de Noël ou encore de chanter les mélodies de Danny Elfman tout droit sorties de M. Jack ? S'ajoute à cela pour conclure cette fin de siècle, un chamboule-tout martien et un bel hommage à Bava et à la Hammer. Malgré tout cela, "Mars attacks" et "Sleep hollow" paraissent déjà plus illustratifs, moins mélancoliques...
LES BUGS DE L'AN 2000
En l'espace de quatre oeuvres couvrant la première moitié des années 2000, Burton balaie le marginal au profit du Papa gâteau. Ce soudain revirement vient de sa rencontre avec Helena Bonham Carter. Le grand échalat ne se retrouve plus dans le costard de freak et arbore la robe de chambre et les charentaises de pépère. Une suite de carrière tremblotante entre un remake simiesque maladroit (mais rien de déshonorant) et la poésie frelatée du fake "Big fish". Ce dernier opus, incarnation de la volonté du cinéaste de retrouver l'essence de son style masque difficilement la pauvreté de l'entreprise. Le recyclage des figures Burtonniennes associées à l'incarnation parfaite d'un héros tout beau, tout blond (Ewan Mc Gregor) constitue le premier pas en dehors d'un cercle dessiné pour le cinéphile privilégié. A partir du moment où la nature même des héros du cinéaste évolue, c'est tout un nouveau public qui s'engouffre dans la brèche. Succès donc pour le combo de 2006 composé d'une extension osseuse et friable de M. Jack (Les noces funèbres) et une adaptation de Roald Dahl un peu trop chocolatée. Si le sucre glacé de Willy Wonka empâte Burton, un sursaut vient l'extraire du caramel mou et lui redonne le goût du sang sur la langue. Les notes âcres de "Sweeney Todd", spectacle aux dominantes métalliques, rouges et noires rappellent le Saint Patron du gothique aux affaires. Burton, retenu par le col depuis une éternité, envoie son antagoniste trancher les gorges des notables, cannibaliser les mécréants et violer les innocentes, le tout en chansonnette. Le fond de l'air est rouge apportant ce qu'il faut d'oxygène à celui qui y croit encore. Mais l'écart est trop brusque et le chèque de Disney trop gros, le cinéaste dérape une fois de plus et s'attire les foudres de ses admirateurs. Alice avec sa toile de fond colonialiste et sa plastique baveuse place le cinéaste en chambre capitonnée pour pathologie schizophrénique artistico-commerciale. Beaucoup ne pardonneront pas ce dernier geste visant à vider sa besace des écrits de Poe et de Caroll afin d'y enfourner les dollars. Le cinéaste chute de son pied d'estale et le fan remet les compteurs à zéro. Balle au centre.
REDEMPTION
"Dark shadows" est le film de la rupture. Vulgairement balancé à la benne avec la robe bleue d'Alice, cette oeuvre en forme de mal nécessaire est celle de la renaissance. Comme souvent, on repousse ce que l'on ne peut comprendre et Burton retrouve incontestablement le charme de ses premières oeuvres libres : Un mash-up élégant aux accents soap. Il fallait oser. Monstres emphatiques, love story tordue et une perte de repères grâce aux ruptures de ton imposées par un récit voguant entre l'absurde, le drame, le fantastique et le burlesque. Le fantôme des débuts refait soudainement surface et le souvenir de "Beetlejuice" revient en mémoire. "Frankenweenie" ressuscite enfin l'enfant disparu des banlieues américaines et "Big eyes" s'accouple avec "Ed Wood" prolongeant la question de la manne financière au sein de l'art populaire et de la passion qui en découle. Depuis trois films, Burton se reconstruit. Le money maker d'Alice, fraichement divorcé, renoue le dialogue avec ses créatures d'antan prêt à reconquérir ses admirateurs perdus. D'une infime fragilité, l'artiste questionne à nouveau son cinéma sur sa forme et son fond, le regard toujours tourné vers le passé.
UN NOUVEAU DÉPART ?
Et de fragilité, le nouveau Burton en est parsemé. Miss Peregrine était l'occasion pour le réalisateur de reprendre une nouvelle fois sa couronne de leader et de céder celle de challenger qui lui collait à la peau depuis trois films. Des freaks cachés sur une île dans un manoir gothique, voilà de quoi se réaffirmer auprès des aficionados. Seulement voilà, Burton conscient de ses effets passés "s'autofétichise" lui-même en un défilé de composantes de son ciné. A tel point que le prologue ressemblerait presque à une carte de visite synthétisant 15 ans de filmo. Asa Butterfield est un döppleganger de Lukas Haas dans Mars Attacks ! et Terence Stamp singerait presque Albert Finney dans "Big Fish". L' entrée en matière est un peu épaisse mais heureusement rapidement diluée par la présentation des marginaux et l'amour que porte le cinéaste à ses créatures. Le Syndrome post "Planète des singes"consistant à mettre aux avants-postes les monstres et les humains loin derrière refait donc parler de lui à tel point que l'ennui vient poindre le bout de sa truffe lorsque les enjeux sont amenés et les bad guys présentés. Le talon d'Achille de Burton est donc son incapacité à représenter le manichéisme sous son jour le plus ordinaire. Aux deux pôles, Eva Green peine à exister en Charles Xavier british et Samuel L Jackson tente de faire exister un clown rigolard réduit par une plume triste en une peau de chagrin. Les bornes positives et négatives écartées, la marmaille de mutants s'éclate dans un bestiaire composé de jumeaux diaboliques, d'un enfant insecte, d'un Gavroche invisible et facétieux et d'une Alice légère comme une plume. Un sentiment retrouvé pour le spectateur qui confirme que Burton est à l'aise dans la nuance de gris. Batman, M. Jack, Beetlejuice et Edward ne confrontaient leurs natures de monstres qu'à leurs homologues et n'imposaient qu'une différence d'apparence et de point de vue aux spectateurs. Le mal à l'état pur sied mal à Burton qui ne sait qu'en faire tant l'empathie des créatures suinte de ses meilleures oeuvres. "Batman returns", outre sa réussite, n'est-il pas qu'un dialogue entre freaks ? Quant à la notion de bien, sa blanchâtre existence ne fait que prendre les traits amidonnés d'une Directrice d'école perdue dans un roman de Lewis caroll, une montre gousset à la main. Le souhait de Burton de vouloir créer une figure sainte et proprette est la vérole de son cinéma. Qui se souvient réellement de l'impact d'Alice, du translucide Charlie ou encore du héros de "Big fish"? Pourquoi s'évertuer à brosser des portraits sans nuance ? Les personnages de Burton ne sont ni des incarnations du mal, ni des héros candides mais juste une race vivant en parallèle de la société et ne pouvant en accepter les codes et les règles. Tant que le cinéaste fera plier sa nature dans le sens contraire, ses films seront voués à battre de l'aile. Ce qui explique la réussite toute relative de son p'tit dernier. L'auteur de "Vincent" est difforme, blanc de lait et azimuté. Il n'y a
rien à faire, c'est comme ça qu'on l'aime.
Mais si Burton peine à faire tenir "Miss Peregrine" debout, il sait convoquer les spectres de Dali, Bunuel, Lovecraft et Harryhausen afin de donner corps à sa vision monstrueuse. Un culot d'une invention sans pareille orchestré par un cinéaste qui a presque soixante piges en a encore sous la semelle. Burton pas mort ! Mais la prochaine fois Tim, promets-nous que ce sera la bonne !
TO BE CONTINUED...