Si Costa Gavras peut énerver aujourd’hui par sa tendance à grossir le trait des sujets qu’il traite jusqu’à la caricature, il fut une époque où ces films ressemblaient plus à la démonstration d’une évidence qu’à une pathétique tentative de propagande. Missing fait partie de ces films pour lesquels Costa Gavras a compris que la sincérité du regard, ajoutée à l’honnêteté des faits racontés, suffit à rendre le sujet crédible, prenant et parfois révoltant.
On sait depuis longtemps maintenant que des services secrets tels que la C.I.A. ont participé et participent encore à des opérations clandestines dans le but de renverser des régimes et ainsi façonner un monde à l’image des U.S.A. Costa Gavras entame son histoire quelques jours après le coup d’état mettant fin au régime de Salvador Allende, dont on sait à quelle point il était rejeté par Washington. Un jeune écrivain Charles et sa femme Beth, installés depuis quelques temps au Chili assistent impuissants, mais avec un regard critique aux événements. En quelques jours, la société est verrouillée, surveillée, un couvre-feu est instauré et les soldats tirent à vue sur ceux qui se trouveraient encore dans la rue. Alors, peut-être que Charles a entendu trop de choses, peut-être qu’il en a dit trop, mais il fini par disparaître, semble-t-il enlevé par les soldats du nouveau régime.
Commence alors un long calvaire pour Beth qui, accompagnée de son beau-père Ed, va partir à la recherche de son mari et se retrouver confrontée au mur du silence érigé en toute complicité par le nouveau régime et les autorités U.S. sur place. Difficile de dire ce qui est le plus révoltant de l’histoire, qu’il s’agisse de la brutalité et de l’arbitraire du nouveau régime ou de la complicité et de la complaisance des U.S.A. vis-à-vis de la dictature qu’ils ont mise en place.Tout le monde ment à Beth et Ed dans ce film, du moins tout ceux qui représentent l’une ou l’autre des autorités. Ces autorités semblent appliquer avec tout le zèle du monde le précepte de Goebbels : « Plus le mensonge est gros, plus il passe. Plus souvent il est répété, plus le peuple le croit ... » Certains des mensonges qu’on ose présenter à Beth et Ed sont hilarants tant ils sont énormes.
Costa Gavras est habile avec son film, peu démonstratif il n’en arrive pas moins à nous faire bouillir de rage et de haine devant une des plus grandes manipulations politiques du siècle dernier, un des plus gigantesques gâchis qui a condamné un peuple entier à la soumission pendant des décennies. Peu de choses sont montrées, beaucoup sont suggérées. En cela le réalisateur fait appel à notre intelligence et à notre esprit d’analyse, ce qui rend le film encore plus captivant puisque nous nous l’approprions sans difficulté.
Dire que Jack Lemmon et Sissy Spacek survolent le film est très en-dessous de la réalité, pour Jack Lemmon on est convaincu qu’il était l’acteur idéal pour le rôle, tout autre que lui aurait de toute façon fait baisser la qualité de l’interprétation du personnage, cet acteur si souvent drôle émeut ici jusqu’aux larmes. Sissy Spacek promène toujours son côté si fragile, ce visage qui lui est si particulier et pourtant si universellement beau. Elle restera cette femme tour à tour abattue, courageuse, obstinée et pleine d’une réjouissante ironie quand elle se paie la tête d’un ambassadeur qui tente encore de lui mentir.
Bien évidemment, la fin fera pleurer les plus sensibles, signe qu’ils auront compris toute la portée d’un film tiré d’une histoire vraie. Costa Gavras révoltera les plus perméables à la bêtise humaine qui ici, inonde le film de son infâme puanteur et de sa glauque injustice. La colère s’installe dans l’esprit du spectateur lorsqu’apparaît le mot « fin », persuadé qu’il est que les démocraties ne le sont pas toujours et que beaucoup d’événements échappent au regard des citoyens. Un film édifiant sur la collusion qui existe probablement encore entre les intérêts géopolitiques des uns et des autres et en fin de compte, en plus d’une leçon de cinéma, c’est une leçon de civisme que nous dispense Costa Gavras.