Au début des années 80, Costa Gavras est déjà bien ancré dans le cinéma politique et engagé. Sa trilogie de la dictature à ouvert la décennie précédente, et il présente à Cannes un brûlot sur le coup d’Etat de Pinochet, largement soutenu par les Etats-Unis moins de dix ans auparavant, en 1973.
Fidèle au film dossier, le cinéaste suit clairement les pas de ses protagonistes en quête de vérité : il s’agit de documenter, d’interroger et par la même de reconstituer de la manière la plus fidèle possible les exactions commises par la junte, et par extension la complicité américaine prête, au nom de la lutte contre le communisme, à bafouer les droits les plus élémentaires.
Là où un film historique traditionnel se plongerait dans l’horreur par le biais de la reconstitution, Costa Gavras opte pour l’enquête : de la même manière qu’il regarde en face un événement assez récent de l’Histoire, ses personnages questionnent l’après, à la recherche d’un citoyen américain disparu dans les premiers jours troublés du coup d’Etat. A la faveur d’une reconstitution occasionnant quelques flashbacks, le récit se concentre sur des dialogues, et ne donne de l’horreur que des informations fragmentaires, la plupart du temps sous la forme de tableaux presque fixes, que ce soit dans le stade où le père et l’épouse prennent le micro pour chercher Charlie face à des prisonniers réduits à des silhouettes indistinctes, ou cette éprouvante visite à la morgue, dans la salle des corps non identifiés qui couvrent jusqu’à au plafond de verre dépoli, et semble nous plonger dans les enfers tels que les avait imaginés Bosch.
L’autre abomination à dénoncer est celle de l’opacité. Dans ce pays où tout est subitement figé, le couvre-feu qui ouvre le récit donne le ton : les arrestations et exécutions sommaires sont devenues les moyens privilégiés pour instaurer une terreur susceptible d’accroitre la soumission. Mais Gavras ne se contente pas du regard occidental sur les affres d’une dictature : en retraçant la quête de vérité du père, un américain aux prises avec son ambassade et des services qui s’évertuent à nier leur ingérence politique dans les affaires intérieures, il met au jour une collusion qui fait elle aussi son miel du silence, des mensonges et de la désinformation.
Ce point d’équilibre trouve en outre une force supplémentaire dans la caractérisation des personnages. Au conflit avec le système s’ajoute celui des générations, entre l’épouse (Sissy Spacek) progressiste et le père de son mari (Jack Lemmon), plutôt droit dans ses bottes et qui se contentait très bien d’une absence de considération sur la politique extérieure de son pays. De l’incompréhension à la quête commune, la relation se construit dans la persévérance, et si les méthodes diffèrent (elle provoque comme une adolescente tandis qu’il associe sa maturité à la diplomatie), l’épreuve construira une douleur commune. Des images, des éclats, des aveux, des révélations : par fragments douloureux de lumière, Costa Gavras déchire un peu le voile d’un idéologie opaque, qui explique garantir la vie heureuse et prospère de ses concitoyens.