Traqué par les siens
Projet développé par la maison de production fondée par Tom Cruise et son ancien agent, Mission Impossible, d'abord entre les mains de Sydney Pollack, atterrit dans celles de De Palma qui, après...
le 31 mai 2015
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En 1993, Tom Cruise et son ancienne agent Paula Wagner fondent leur propre société de production à leurs noms : la Cruise / Wagner Production. La société ne sera créé que dans un seul but, trouver un film qui mettra en valeur Tom Cruise de façon à ce qu’on retienne que son nom et son visage, ainsi la société pourra étendre le contrôle sur la production des futurs films en assurant la pérennité de Tom Cruise en salles.
Il existe alors un gouffre dans le domaine du film d'espionnage qui arrive à point nommé. Pour la première fois dans l'histoire de sa franchise, la saga des James Bond est à l'arrêt. Aucune nouvelle aventure de l’espion anglais n'est sortie entre 1989 et le milieu des années 1990, un fait exceptionnel. Il n'existe donc plus de grand film d'espionnage exubérant centré sur un homme sauvant le monde à cette époque. On pourra toujours penser au somptueux The Hunt for Red October de John McTiernan, mais on ne peut pas parler de pérennité à la James Bond. Mais la nature a horreur du vide. Le milieu des années 1990 va y remédier en donnant True Lies de James Cameron, Goldeneye et enfin Mission Impossible en 1996.
Qu'importe que Tom Cruise soit le dernier des trois, qu’importe même que le véritable James Bond soit revenu un an plus tôt, et ce avec un succès fracassant car il les survivra tous.
Mission Impossible est à l'origine une série de CBS diffusée entre 1966 et 1973. Le créateur de la série, Bruce Geller, raconte les aventures de la Impossible Mission Force : une équipe d'experts rassemblés par Jim Phelps pour mener des opérations classées top secret. La série est remplie de codes devenus marquants et la musique de Lalo Schifrin devient un thème culte. Les guests se bousculent pour jouer le méchant de la semaine, la série durera sept saisons, sans parler de la suite Mission Impossible diffusée sur ABC entre 1988 et 1990.
Engager Brian De Palma pour le premier film fait alors sens : c'est non seulement un réalisateur confirmé depuis bien longtemps, mais il a déjà signé une adaptation de série avec The Untouchables, de plus, après l'échec commercial relatif de Carlito's Way, le cinéaste a absolument besoin de réaliser un film à succès pour reprendre du pouvoir et assurer son avenir dans le cinéma américain.
Brian De Palma n'a jamais regardé les séries, mais il désire depuis longtemps mettre en scène un film d'espionnage qui se déroulerait en Europe. L'espionnage est en effet un thème qui lui convient bien, car il aime tourner des filatures et montrer des personnages qui en épient d'autres.
Le premier scénario du couple Willard Huyck et Gloria Katz devait se dérouler entièrement aux États-Unis. Il déplaît finalement à l'ensemble de la production, et Brian De Palma demande alors à travailler avec Steven Zaillian. C'est De Palma qui propose d'aller tourner en Europe (il expliquera par la suite que ce n'est pas pour une question budgétaire, mais un désir). Il souhaite que le héros incarné par Tom Cruise irait recruter son équipe partout dans le monde. Le problème d'une telle structure est qu'elle ne respecte pas la trame de la série où les personnages doivent agir en équipe autour d'une mission.
C'est ainsi qu'avec Steven Zaillian, ils arrivent à l'idée que l'équipe doit mourir dès le début du film, un choix couillu et très immersif.
Les scénaristes David Koepp (qui a travaillé sur Carlito’s Way) et Robert Towne viennent ensuite étoffer les personnages. Koepp et Towne ont travaillé en même temps dans des hôtels différents, chacun réécrivant le travail de l'autre, le réalisateur devant assurer péniblement la liaison entre les deux. Brian De Palma choisit de faire un film d'action où il y a peu de fusillades, souhaitant plutôt travailler sur les thèmes que sont la trahison et la ruse.
La série Mission Impossible raconte l'histoire d'une équipe interchangeable autour de Jim Phelps, le film racontera la mort de cette équipe et la transformation de Phelps en méchant de sa propre saga. Une idée qui ne plairait pas au puriste de la série, mais qui est culottée, et je félicite. Le point de vue du film s'attachera donc à Ethan Hunt, simple agent qui va devenir le héros, seul et contre tous. Cela permet évidemment de faire de Tom Cruise l'élément primordial de sa propre célébrité, comme on le verra avec la campagne marketing du film dont le visage de l'acteur recouvre presque intégralement l'affiche. L'important n'est pas de mettre en avant des paysages exotiques, ni les gadgets, ni les effets spéciaux, ni même les masques (magnifiques de Rob Bottin), ni les femmes fatales ou les explosions. La seule chose qui compte, c'est Tom Cruise. Le film se vendra sur son nom, pas sur celui de la série.
Peter Graves devait reprendre son rôle de Jim Phelps dans ce film faisant suite aux deux séries auxquelles il avait participé. Mais il a refusé de jouer étant donné que son rôle a été perverti. En effet, il n'avait jamais trahi son pays et ses missions depuis plus de 30 ans. C'est Brian De Palma qui a l'idée de prendre Jon Voight, qu'il apprécie depuis toujours comme acteur et qu'il connaît depuis les années 1960 dans le rôle de Jim Phelps.
Tom Cruise sera tout de même épaulé d’une équipe pour mener à bien ses missions. Pour le rôle de Claire Phelps (la femme de Jim Phelps), Brian De Palma estime que Emmanuelle Béart est la meilleure. Il lui fait tourner un bout d'essai avec Tom Cruise et est enchanté du résultat, on peut noter une certaine attirance entre les deux. Le compatriote de Emmanuelle Béart, Jean Reno fait lui aussi parti de l’équipe. Pour compléter le groupe, Ving Rhames va incarner un informaticien qui devait par ailleurs mourir dans la scène du train.
Le meilleur moment du film est l'intrusion de Ethan Hunt et son équipe au Pentagone pour pirater un ordinateur situé dans une pièce imprenable, un vrai coffre-fort digne de la série, avec une alarme qui s'enclenche dès qu'un objet touche le sol, si la température atteint un degré trop élevé ou si un bruit plus conséquent qu'un chuchotement se fait entendre. La séquence est très intelligente puisqu'elle force le spectateur à s'identifier à Tom Cruise, suspendu dans la pièce par un câble au plafond, tenu par Jean Reno. Le public est donc obligé de retenir son souffle, de ne pas faire de bruit et de prêter attention à chaque détail qui risquerait de déclencher l'alarme, comme un rat approchant Jean Reno, un éternuement ou encore une goutte de sueur coulant sur le front de Tom Cruise et descendant, millimètre par millimètre, le long d'un des verres de ses lunettes. La main de Cruise rattrape la goutte de justesse et à la fin de la scène, lorsqu’on croit la partie gagnée, le couteau de Jean Reno tombe du plafond au ralenti pour se planter dans le bureau de l'ordinateur, à la seconde où l'alarme se désactive. Le grand public qui découvre le film en 1996 comprend immédiatement qu'il vient d'assister à un des moments de blockbusters les plus cultes et millimétrés de sa décennies.
La révélation de Jim Phelps est aussi un des meilleurs moments du film. Elle est amenée par un processus fort passionnant et absolument typique du cinéma de Brian De Palma. Il a régulièrement mis en scène des personnages en quête de vérité. Cette quête passe par la compréhension d’un événement. Les personnages y ont assisté mais n’en ont pas forcément saisit tous les tenants et aboutissants qu’il implique. Ils vont devoir interroger les images et les déconstruire pour toucher cette vérité qui, généralement, les conduira à leur perte. Il s’agit là d’une obsession de Brian De Palma découlant directement du traumatisme national lié à l’assassinat de Kennedy. Livrant un point de vue sur l’événement, celui-ci sera décortiqué dans tous les sens afin de corroborer n’importe quelle théorie. Ethan Hunt peine à remettre en cause le massacre initiale. Il se livre ainsi peu de temps après ce dernier à un premier décryptage. Celui-ci se base sur des petits détails ou des images auxquelles le spectateur n’a pas prêté attention précédemment mais qui démontre l’implication de sa hiérarchie.
Son but sur la durée reste avant tout de survivre par un jeu du chat et de la souris qui lui permettra d’être réhabilité. Un parcours nous octroyant son lot de rapports de force (la rencontre avec son supérieur, celle avec Max) et de suspense tendu. Un simple indice lui permettra de comprendre qu’il s’est fait fourvoyer et de repenser le puzzle. Car si ce que contient l’image est important, la parfaite compréhension de l’histoire nécessite de savoir ce qu’il y avait aussi hors-champ. Bien que la découverte de l’indice accentuée par une voix-off permette au personnage d’atteindre ce stade, le spectateur devra attendre plus longtemps avec une scène déstabilisante pour le spectateur peu attentif. Face à Face, Jim Phelps expose à Ethan Hunt son histoire et lui désigne un faux coupable en croyant que son plan roule comme prévu. Ethan Hunt fait semblant d’avaler le baratin et tient un discours allant dans son sens. Sauf que dans sa tête, il reconstruit la vérité et ses images s’intercalent avec une discussion contradictoire. Au bout du compte, on renoue avec l’esprit de manipulation de la série et de vérité altérée par des personnages interprétant des rôles… Sauf que l’action se situe désormais à un autre niveau.
Mission Impossible se révèle être un film d’espionnage très plaisant, avec ses moments de grâce comme la révélation mensongère de Jim Phelps sur fond de flashbacks montrant la vérité découverte en même temps par Ethan Hunt, ou l’explosion de l’aquarium, et, bien sûr, la scène du câble. Autant de bonnes idées parfois rattrapées par l’aspect parfois péremptoire de l’innovation, à l’image de la scène de poursuite en train.
Créée
le 5 juil. 2023
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