« I don't think I can get her to do it. » ETHAN HUNT

Mission Impossible a frappé un grand coup en 1996, mais dans un Hollywood qui n’a pas encore ordonné son outil de production afin de produire des suites à la pelle. Il faut attendre jusqu’à l’été 2000 pour que surgisse Mission Impossible 2.

Il faut dire que Tom Cruise n’a pas chômé, puisqu’il vient de parfaire son statut de star totale et complète en enchaînant coup sur coup Magnolia de Paul Thomas Anderson et Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, où il alignait deux compositions parfaites, funambules, imposant déjà ses choix de carrière comme autant de commentaires de son propre rapport à sa légende.

Dans ce laps de temps, on ne peut pas dire que le cinéma d’action ait proposé un feu nourri de fusillades pelliculées. Mais deux films ont marqué les esprits durablement et ont sans doute tenu un grand rôle dans l’esprit de Tom Cruise. Il s’agit de Face / Off sortie en 1997 et bien sûr de The Matrix des Wachowski, sur les écrans en 1999. Tous deux chamboulent les codes américains, autant qu’ils consacrent leur mutation au contact des artistes et influences venues d’Asie.

Le tournage de Eyes Wide Shut s’étant étalé sur plus d’un an, Oliver Stone, un temps embauché pour réaliser le film jette l’éponge. La place est toute chaude pour le chinois John Woo, qui a réalisé Face / Off, et qui est sur le papier le candidat idéal pour proposer un chapitre très éloigné formellement du travail de Brian De Palma (qui a refusé de revenir pour la suite), et un concentré d’action en provenance directe de Hong Kong.

Comme cela deviendra progressivement la tradition au sein de la franchise, le tournage commence sitôt les scènes d’action conçues et arrêtées, le travail de cohérence et de scenarii intervenant pendant le tournage lui-même. Robert Towne, engagé par Tom Cruise pour peaufiner le scénario du premier, se charge d'assembler tout ça.

Si le scénario du premier film était impeccable, celui de ce second volet plane assez bas. Un virus mortel dans les mains d'un ancien agent de la Impossible Mission Force menace le monde et Ethan Hunt doit chasser son ancien collègue, avec qui il partage assez de traits pour être son double (avec l’aide des masques utilisés à outrance). On sent que le film dans son état final est une somme de réécritures, auxquelles participeront les scénaristes Ronald D. Moore et Brandon Braga, dont les parties assemblées n'ont aucun sens.

Une abondance de clichés parsème le film, alourdissant la moindre emphase sur les enjeux ou les scènes d'action, hélas bien loin du niveau habituel de John Woo. Le tout est dirigé vers un seul but : faire de Ethan Hunt un personnage totalement déconnecté du premier opus. Brian De Palma l'avait créé comme un James Bond moderne et humain, avec une famille, des doutes, des failles. Il était nerveux, sensible et pas toujours sûr de lui. John Woo en fait un Superman au sourire idiot et béat, à l'image de Tom Cruise en promo, au point que son personnage n'est plus qu'un prête-nom à l'écran. Ce que nous voyons, ce n'est pas Ethan Hunt, ce sont les aventures fantasmées de Tom Cruise sauvant le monde. Tout est destiné à le mettre en valeur dans le film. Au point d'en faire un héros n'ayant plus rien à raconter.

Autant John Woo nous avait bluffé avec Face / Off, autant ici, il nous laisse sans voix face à cette auto-caricature. Le film débute avec cette pathétique scène d'escalade où Tom Cruise vole de falaise en falaise jusqu'à se retrouver dans la position du Christ, un spectacle complètement invraisemblable. Les apparitions de l’antagoniste sont parsemés de minis-clips, tout en ralentis stylisés et regards profonds avec les inévitables symboles, les effets de caméra (surtout les zooms) c'est sympa, mais ils sont trop présents. Une mise en scène déjà datée en 2000.

Le problème est aussi sur le rythme très inégal, entre cette première heure où tout met du temps à s’installer, et cette seconde heure où tout s’accélère soudainement. Comme toujours, des scènes d’action, aussi généreuses et inventives que totalement exagérées et invraisemblables, ponctuent le récit, sur le fond d’un scénario simple, prévisible et tiré par les cheveux. Le film peinant aussi à respecter l’esprit de la saga, reléguant les personnages secondaires à de tous petits rôles aux côtés d’un Ethan Hunt omniprésent, télescopant l’esprit d’équipe pourtant essentiel à un Mission Impossible.

Quand on sait que Ethan Hunt est le personnage le plus complexe du film (alors qu’il n’a rien à raconter à part cette mièvre histoire d’amour). Cela situe le niveau de pénibilité à s'intéresser à quoi que ce soit dans le film. Ving Rhames, déjà présent dans Mission Impossible, et John Polson sont complètement invisibles. Seule Thandiwe Newton sera un peu visible grâce à son histoire d’amour avec Ethan Hunt. La romance est initiée entre les deux personnages de manière superficielle et à la va vite fait perdre toute crédibilité à l’univers créé jusque là. La pauvre en est réduite à faire la belle, à minauder et à offrir de jolis sourires. Même la qualité de ses dialogues était minable comme elle le dit elle-même :

Tom n'était pas satisfait de ce que je faisais parce que j'avais les répliques les plus merdiques. Il était tellement frustré. Nous avons filmé toute la scène où je jouais son rôle, et lui le mien. Et ça n'a vraiment pas aidé... Je ne peux pas imaginer quelque chose de plus révélateur. Cela m'a simplement poussée plus loin dans un climat de terreur et d'insécurité. C'était vraiment dommage. Et je pense sincèrement que c'est dommage parce qu'il essayait vraiment de donner le meilleur de lui-même.

L’antagoniste, Sean Ambrose, interprète par Dougray Scott n’a pas d’épaisseur non plus. Il se blessera durant le tournage et doit renoncer au rôle de Wolverine qui lui était promis. Il n’a vraiment pas eu de chance.

L’expérience ne sera pas de tout repos non plus pour John Woo. Il va faire face à Tom Cruise qui se révèle véritable chef d’orchestre du film et ne manifeste pas énormément d’égard pour le cinéaste (qui refuse de parler anglais…). Tom Cruise compte bien s’investir plus que jamais dans les cascades du film et se consacrer totalement comme une action-star hors normes. Il ment ouvertement aux assurances, auxquelles il certifie qu’il sera doublé pour toutes les cascades importantes. En réalité il en effectuera plus de 90%, rendant parfois John Woo fou d’angoisse, incapable de rester face à son écran de contrôle quand la star demande à répéter plusieurs fois des scènes d’une extrême dangerosité (jusqu’à 7 fois pour la scène introductive).

Je ne vais même pas s’attarder sur la musique franchement anarchique de Hans Zimmer, loin du niveau du premier volet. Et puis les musiques additionnelles, notamment le thème culte de Lalo Schifrin revisité et massacré par le groupe de rock Limp Bizkit, n’aidant pas.

En dépit d’un succès en salle, il s’agit du premier échec critique pour Tom Cruise depuis longtemps. Son Mission Impossible 2 n’est pas réussi. Le changement de ton est trop important, mais il n’empêche que le film se démène pour offrir des scènes d’actions qui restent cultes (pour de mauvaises raisons) encore jusqu’à maintenant. Tom Cruise, producteur et acteur héros s'est trop fait plaisir.

StevenBen
5
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le 6 juil. 2023

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Steven Benard

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