Depuis l’enlisement des franchises de super héros, la survivance de la saga Mission : Impossible offre un créneau à l’ancienne qui fait presque office d’outsider : à la manière des James Bond, les occurrences sont plus rares, et moins propices à la dilution ; et depuis les scores ahurissant du retour de Tom Cruise avec Top Gun Maverick, tous les espoirs se tournent vers cette figure qui semble prouver l’existence d’une vigueur éternelle. Le vétéran doit néanmoins composer avec quelques recrues plus vigoureuses, dont le porte étendard John Wick redéfinit à sa manière les attendus possibles face un blockbuster plus graphique, racé et virtuose.
C’est ce sur ce point d’équilibre que sort le très ambitieux 7ème volet, 1ère partie d’un diptyque renouvelant le cycle brillamment achevé avec Fallout en 2018. Toujours en accord avec l’époque, l’équipe doit donc affronter une IA, un ressort assez savoureux lorsqu’on montre les gouvernements revenir aux machines à écrire et à l’analogique pour préserver leurs données, et qui aurait gagné à être exploité davantage. L’occasion, aussi, de séquences jouant comme souvent de la réalité augmentée par les écrans, mais devenues trompeuses et fantomatiques lorsque les algorithmes s’en mêlent, lors d’une chasse multiple dans un aéroport où les lieux deviennent un véritable palimpseste de faux-semblants et de surcouches en deepfake.
Cette angoisse face à la désinformation semble au départ le véritable sujet de l’intrigue, et réactive le discours d’un Kittridge qui, après avoir annoncé il y a 30 ans, dans le 1er volet de De Palma la fin de la guerre froide et des convictions idéologiques, décrète la pure et simple fin de la vérité. Une amorce excitante, donc, qui ne sera malheureusement pas suivie des faits, les services du monde entier entrant dans la course pour récupérer les deux moitiés bien matérielles d’une clé, première déception avant une kyrielle d’autres.
Dead Reckoning est un film qui se veut généreux au point de faire souvent fausse route : beaucoup trop long, terriblement bavard, il souffre (encore, en dépit de tant de leçon apprises par le passé) de cette naïveté consistant à surcharger tous les critères : trop de personnages, trop de partis (cet agent de la CIA déboulant dans chaque point du globe pour poursuivre Ethan), des conversations interminables, et un jeu de passe-passe on ne peut plus redondant, la dite clé naviguant de poches en poches, chaque pseudo twist éventant le précédent.
On soulèvera d’ailleurs l’ironie profonde à voir l’AI prévoir à l’avance les événements, dans un scénario effectivement on ne peut plus linéaire où, la commisération d’Ethan le verra récompensé comme à la fin d’une fable, et où l’on recrute une nouvelle femme qui reprend, le charisme et la complexité en moins, le rôle originellement dévolu à Rebecca Ferguson, réduite à une étrange figuration par intermittence. En découle un opus assez avare en émotions, notamment dans l’humour, Simon Pegg étant moins sollicité qu’auparavant.
Le traitement réservé au personnage d’Ilsa est en cela éloquent : après des apparitions qui hésitent à développer la notion de couple contrarié avec Ethan, sa disparition, censée être un pic émotionnel du récit, ressemble davantage à un mercato raté.
L’action, nerf de la guerre, n’est évidemment pas en reste, et on saluera les efforts du tandem Cruise/McQuarrie pour offrir des cascades analogiques, avec caméra rivée aux véhicules et voltiges en tout genre. Le problème reste néanmoins identique à ce qui était proposé auparavant : les exploits réels d’un saut à moto ou la chute d’une locomotive dans une falaise se trouvent noyés dans un décor dont le lifting numérique amoindrit souvent la portée. Curieuse sensation de constater que le making of se révélait plus excitant que le traitement final... La course à l’idée peut aussi se révéler contre-productive, en multipliant les raccords mouvement dans des traques sans fin, comme cette course dans Rome, bien trop longue elle aussi, où le tandem se retrouve attaché par des menottes qui elles aussi subiront des tours de prestidigitation rendant tout possible.
Le talent reste de mise, et certains combats, notamment avec l’irruption d’une tueuse ravie d’exercer son art, se révèlent inventifs, coincés dans une impasse ou sur un pont vénitien du plus bel effet, et la dernière heure parvient enfin à emmener le spectateur dans une réelle cavalcade un peu plus structurée et progressive, culminant sur des jeux de renversement proprement réjouissants.
On aurait aimé être suspendus de la même manière à un cliffhanger nous rendant fébriles avant la deuxième partie… Cette excitation reviendra sûrement dans les mois à venir, où de nouveaux clips sur YouTube nous révélerons des secrets de fabrication plus intenses que le produit fini.