Conserver l’ADN au risque de la redite, et donner au spectateur le sentiment d’avoir eu du nouveau, au risque de la trahison : telle est la quadrature du cercle dans une franchise à succès. Et force est de constater que face à cet enjeu, Mission : Impossible tire son épingle du jeu.
Le temps presse de partout autour de ce sixième opus : par les délais inhabituellement courts entre deux volets, pour Cruise acteur qui commence à lorgner vers la soixantaine, et un récit mené à un train d’enfer – même si le film est, de loin, le plus long de la saga.
C’est probablement ce sens de la vitesse qui lui permet de surfer sur ses écueils : une scène d’ouverture très paresseuse (Luther otage privilégié, après Benji la fois précédente…), des éléments de scénarios forcés (la justification de la présence d’Ilsa) ou ineptes (les motivations du méchant, le Syndicat, encore et toujours, Hunt désavoué, un Paris – forcément – de carte postale, des charges de plutonium avec compte à rebours…), Fallout ne fait pas un sans-faute. Son idée de reprendre des éléments du troisième opus (à savoir, l’épouse de Hunt) pour clarifier la situation est à mettre à son crédit, mais délaye aussi inutilement la sauce sentimentale et dérive presque vers la romance, un élément qu’on avait oublié avec enthousiasme depuis les deuxièmes et troisièmes volets.
Mais là n’est pas l’essentiel : le spectateur familier de la franchise va y chercher un cahier des charges précis, pendant jubilatoire des manifestes terroristes des antagonistes. Et sur ce point-là, le contrat est rempli. On nous a (beaucoup trop) vendu Cruise cascadeur, perpétuant cette tradition presque vintage de l’acteur qui met sa vie en jeu, et les moments de bravoure ponctuent ainsi le film : le saut en parachute (assez frustrant, parce qu’on a du mal à en voir la dimension authentique), la course en hélico, la moto dans Paris, d’une belle fluidité. L’heure est à la performance, et c’est là une différence un peu regrettable avec les deux opus précédents, qui jouaient sur une partition un peu plus ludique et solaire. Fallout est un film sombre, dans des intérieurs obscurs et dorés, (certaines scènes du Grand Palais font presque penser aux incursions de Tom Cruise dans les sociétés secrètes d’Eyes Wide Shut), qui abuse du lens flare et semble avoir parfois du mal à gérer le vieillissement de son casting. L’humour (la Pegg touch, en somme) est encore présent, mais un peu plus en retrait face à des enjeux qui jonglent entre le sort du monde et les différentes échelles d’altruisme d’Ethan Hunt, de la loyauté à l’amitié, en passant par l’amour.
Mais on ne va pas pour autant bouder son plaisir : dans le monde ultra codifié du blockbuster, le film reste une référence qui tire son épingle du jeu. Au sein d’une intrigue assez banale, on retrouve avec joie l’usage des masques, les comédies en abyme visant à confondre les adversaires et des montages parallèles dynamisant l’action (la fusillade dans Paris à enjeux multiples, le dernier quart d’heure et ses protagonistes à multiniveau), et quelques échanges assez savoureux, notamment dans le duo minéral Cruise / Cavill ou la lutte ultra violente qui les oppose à un antagoniste expert en arts martiaux dans des toilettes qui s’en souviendront.
Trajets urbains et paysages naturels, tôle froissée et mandales épaisses comme des entrecôtes : cet aspect presque réactionnaire fait finalement du bien au blockbuster : on se lave un peu les yeux des exos planètes à pixels multiples qu’on nous impose la plupart du temps, et on est prêt à refaire un tour dans l’attraction Mission : Impossible, qui trouvera apparemment toujours de quoi nous faire vibrer. Comme le répète si souvent Ethan Hunt : I’ll figure it out.
(7.5/10)