Documentaire dans le Delta ou road movie de cinéastes, rencontre de deux réalisateurs ou film musical... Le défaut de «Mississippi Blues» est qu'il part un peu dans tous les sens: on a l'impression de voir un film de vacances fait avec les moyens d'un réalisateur de cinéma professionnel. Cela dit, ce «film de vacances» (avec lequel Tavernier semble s'être fait bien plaisir) est agréable à regarder et, surtout, à écouter.
Le documentaire, et le voyage de l'équipe de tournage, commencent à Oxford, Mississippi, autour de la tombe de William Faulkner. Bertrand Tavernier s'est rendu dans le Sud des États-Unis afin d'y rencontrer Robert Parrish, co-réalisateur de ce documentaire mais surtout acteur, monteur de John Ford et Robert Rossen et réalisateur («Mississippi Blues» sera son dernier crédit en tant que tel, d'ailleurs).
Nous suivons, de manière quelque peu désordonnée, les souvenirs d'enfance de Parrish, entre-mêlés de séances de questions-réponses avec Tavernier: «Le meilleur film sur le Sud a été réalisé par un homme du Sud... de la France, Renoir. Le film s'appelle d'ailleurs 'L'Homme du Sud'.» Suivront un (long) segment sur les spirituals et gospels chantés dans les églises et un départ «on the road» le long de cette colonne vertébrale de la musique noire américaine que fut la Route 61, baignée par les eaux du puissant Mississippi.
C'est, à mon goût du moins, le segment le plus fort de ce film: les arrêts le long de la route, la musique enregistrée lors de «bœufs» improvisés, le coiffeur jouant de l'harmonica tandis que son client (Tavernier, en l'occurrence) se détend sous les linges imprégnés d'eau chaude.
Dans un «slum», un blues improvisé sur la France et les Champs-Elysées, jamais vus mais imaginés, par des ouvriers au chômage permanent. Le regard hanté de ces paumés traverse l'écran, pour nous happer dans le gouffre de leur désespoir. Le contraste avec la nonchalance affichée de «Gatemouth» Moore, ancien blues-man devenu révérend, ou la sévérité de bon aloi de l'ouvrier joueur de pipeau de la fin du film en est que plus saisissante.
Un des protagonistes du film met le doigt sur le cœur de la question pour ces communautés noires du Sud: «Comment changer leur vie sans perdre leur culture? Il s'agit de trouver un équilibre difficile». Un quart de siècle plus tard, cet équilibre est toujours aussi difficile à trouver.
Bref, malgré quelques longueurs, si vous êtes passionné par le blues ou les spirituals «Mississippi Blues» est à voir surtout pour sa très bonne musique, incluant des perles que vous n'aurez jamais l'occasion d'entendre ailleurs. Et aussi pour son portrait d'un Sud des États-Unis qui, comme l'affirme le titre d'un spiritual, malgré tout continue de bouger: «keeps on movin'».
--
Ce film a été présenté dans le cadre du Panorama «Black Note», lors de la 25ème édition du Festival International de Films de Fribourg (FIFF) en 2011.
Infos: http://www.fiff.ch.
Liste du Panorama: http://www.senscritique.com/citizenk/liste/34703/fiff-2011--fribourg--19-26-3-2011---black-note/