Il faudrait faire un film sur ces deux-là, eux qui préviennent leur public qu'il est aventureux de devenir leur ami car, au bout de quelques années, on risque de se retrouver sur pellicule ; retourner contre ce couple de réalisateurs leur arme tendre et braquer sur eux l'objectif dans lequel ils recueillent "tout ce, tous ceux qu'ils adorent", ainsi que le déclare, dans un éclat de rire, Tizza Covi, sirène rousse polyglotte qui ondule avec vivacité de l'allemand au français, en passant par l'italien. Car, devant cette réalisatrice flanquée de son acolyte, Rainer Frimmel, aussi fin et racé que sa dame, mais plus réservé, on a bien le sentiment de se trouver face à un couple de cinéma.
Premier écart, Covi et Frimmel choisissent d'être regardeurs, plutôt que de se placer du côté de ceux que l'on contemple. Puis ils démontrent qu'il n'y a pas une seule façon de faire du cinéma, puisqu'ils ne se lancent dans l'écriture qu'à partir de l'être humain qui les inspire et qu'ils introniseront acteur, lui taillant en quelque sorte un scénario sur mesure, au plus près de sa propre vie.
C'est ainsi que, amis de longue date avec Arthur Robin, le premier Mister Univers noir de l'Histoire, et côtoyant depuis longtemps le monde du cirque, ils décident d'élaborer une trame dans laquelle un dresseur de fauves, guetté par la malchance et attribuant ce fait à la perte du porte-bonheur que lui avait plié le grand culturiste, se lancerait à la recherche de celui-ci, à travers toute l'Italie.
Une première partie dans le cirque nous rend témoins de la vie de ce dompteur, sympathique Tairo, presque aussi court sur pattes que ses fauves, mais manifestant autant de souplesse et de rebond dans ses reparties que ses félins. Une belle crinière noire et un visage à la fois placide et sensible achèvent de nous gagner à sa cause et de nous faire suivre volontiers ses amours avec l'acrobate Wendy puis sa quête, en forme de retour vers le passé. Ce voyage à contre-courant, secondé par la thématique de contre-sens tous plus ou moins mystérieux (une route italienne, pentue, sur laquelle liquides et voitures à l'arrêt remontent, au lieu de descendre, en un phénomène encore inexpliqué...), permet aux réalisateurs de dévoiler plusieurs hautes figures du monde du cirque et de faire apparaître cette grande famille, au sein de laquelle des liens chaleureux, toujours prêts à se voir réactivés, unissent ce peuple des chapiteaux. On songe au récent "Les Ogres" (2016), de Lea Fehner, et à toute la vie intense et passionnée qui en jaillissait.
Sur leur mode bien particulier, avec une équipe technique qui se réduit à eux seuls, Tizza Covi et Rainer Frimmel s'inscrivent donc dans la grande lignée des réalisateurs qui se sont approchés du monde à la fois ouvert et fermé, monde fascinant, qu'est le cirque. Leur "Mister Universo" trace une histoire simple, empreinte, même, d'une certaine naïveté pleinement assumée, mais il prend la suite, après les grands comiques américains, de "La Nuit des forains" (1953), "La Strada" (1954), "Lola Montès" (1955)...