Les difficultés rencontrées par Tomino avant la réalisation de ce film, qui devait originellement constituer une série entière, sont aujourd’hui bien connues. C’est pourquoi il est usage de déplorer, quoique sans faire de véritable reproche à son réalisateur, la manière hâtive dont il exposerait son univers et son intrigue, d’une manière bien trop elliptique pour nous faire apprécier tous les personnages et tous les éléments de cet âge plus reculé de l’Univers Century à leur juste valeur. On se complait alors à regretter ce qu’on aurait pu avoir, mais que l’on n’a pas eu, et dont on ne pourrait avoir un aperçu qu’en lisant le « Crossbone » manga.
Mais c’est là à vrai dire négliger l’expérience que propose ce film, qui constitue une unité en lui-même. Il est vrai qu’il s’y passe beaucoup de choses. Mais il ne s’y passe pas trop de choses : le rythme est rapide mais pas hâtif, nous fait alterner entre des scènes de combat, des scènes politiques, et des scènes familiales, sans jamais perdre son souffle et sans jamais laisser au spectateur le temps de s’ennuyer ou de se dire « j’ai déjà vu ça » ; aucune de ces scènes n’est toutefois à proprement parler elliptique, au sens où elle introduirait des éléments d’intrigue qu’elle n’aurait plus le temps de développer par la suite, pas plus qu’elles ne sembleront incohérentes à un spectateur attentif. Cette intrigue, qui va de l’introduction du « Crossbone vanguard » au combat final avec son membre le plus dangereux, est bel et bien menée à son terme. Les idéaux politiques de ce mouvement hostile à la Fédération nous sont exposés explicitement dans plusieurs scènes (et elles devraient de toute façon paraître rapidement assez claires à quiconque s’est déjà intéressé à l’Universal Century). Tous les personnages importants ont le temps de nous dévoiler leur caractère et leurs facultés ; le film nous donne suffisamment d’éléments sur les protagonistes, et surtout sur l’antagoniste, mais sans se complaire dans la remémoration de leur passé, et sans jamais en profiter pour se répéter.
Le film nous donne certes envie d’en savoir plus sur cette période de l’Universal Century, d’autant plus que le Crossbone Vanguard nous présente une esthétique et des méchas originaux. Et le film alimente cette envie en faisant apparaître « This is only the beginning » à sa toute fin et en nous laissant dans l’incertitude quant à ce qu’il adviendra du clan des Ronah. Mais s’il est à la rigueur dommage que le spectateur ne puisse obtenir satisfaction sur ce point, ce n’est en rien une raison pour considérer que ce film est, en lui-même, bâclé, ou qu’il ne fait qu’esquisser les éléments qu’il introduit.
En faisant l’expérience de cette œuvre, et sans la comparer à ce que l’on aurait aimé avoir ensuite et que l’on n’a pas eu, on se rend mieux disponible à son incroyable qualité d’animation, se manifestant, dès l’ouverture, par un combat de mécha frappant par son réalisme, son niveau de détail, et par l’originalité du design des machines pilotées. L’intrigue déploie tout ce qui peut faire l’intérêt de Gundam : des personnages subtils, une intrigue politique et militaire crédible, un antagoniste tourmenté, déterminé et que l’on a envie de prendre au sérieux, ainsi qu’une certaine précision technique dans la mise en scène des méchas qui n’exclut pas une légère (et plus apparente à la fin) « magie newtype ».