En Afrique du Sud, au début des années 80, à partir de 16 ans, le gouvernement d’alors, raciste, oppressif et représentant la minorité blanche, ne vous laissait aucun choix : service militaire obligatoire de deux ans comprenant une longue période d’entraînement et d’endoctrinement, puis envoi sur le front au sud de l’Angola, en contrée "ennemie", pour combattre le danger communiste et le danger "noir" autochtone. Nicholas est l’un de ces jeunes hommes réduits à de la chair à canon, obligés de servir et de défendre un régime ségrégationniste sans remise en question ni, surtout, résistance (sinon celle, en dernier recours, et comme un ultime pied de nez désespéré, qui conduit au suicide).
En plus de devoir subir la brutalité du corps militaire et d’une guerre qui le dépasse, Nicholas doit taire son homosexualité, réprimée et dans le civil, et dans l’armée avec passages à tabac et internement psychiatrique à la clé. Adapté du roman autobiographique d’André Carl van der Merwe, Moffie ("pédé" ou "tapette", en afrikaans) prend très vite des allures de récit initiatique, récit d’un garçon à la rencontre de lui-même dans les déchirements de l’apartheid, et face aux dérives d’un système institutionnalisé, et c’est là sans doute que vient se nicher le vrai sujet du film, qui déshumanise en obligeant à tuer (ou à humilier, humilier un homme parce qu’il est noir). Qui formate en empêchant contradiction et épanouissement. Qui, enfin, punit en annihilant toute personnalité propre (c’est s’invisibiliser, ou périr).
Oliver Hermanus filme avec beaucoup de sensibilité, et parfois de lyrisme (et d’homoérotisme certain), Nicholas dans son combat contre la perte de soi et dans ses sentiments naissants pour Dylan, un autre conscrit. On pense forcément à Full metal jacket, à Tu ne tueras point ou à Tigerland dans cette approche antimilitariste qui, elle aussi, imprègne tout le film. Mais Hermanus, en y intégrant la question d’une homosexualité considérée (et vécue) comme une honte, cherche à montrer la violence d’une société, alors sûre de ses valeurs traditionalistes, qui laissera chez nombre de ces garçons, embarqués dans une mécanique de conditionnement qu’ils subissent (ou éventuellement qu’ils acceptent), séquelles et traumatismes tus, et jusqu’à l’incapacité de vivre, ou plus simplement d’être. C’est ce que viendra résumer la très belle scène de fin sur la plage, laissant Nicholas seul avec la douleur, et les évidences, d’un amour devenu impossible.
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